Election présidentielle en Iran : "Les candidats rejoignent assez peu les aspirations de la population"

Le scrutin aura lieu ce vendredi.

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Par Wahoub Fayoumi

59 millions d’Iraniens sont invités à se rendre aux urnes ce vendredi pour élire un nouveau président. Avec un grand favori : Ebrahim Raissi, un conservateur religieux, chef du système judiciaire dans le pays. S’il est élu, il succédera au réformiste Hassan Rohani…

Le vainqueur de cette élection aura du pain sur la planche : les enjeux sont grands pour les Iraniens victimes d’un marasme économique sans précédent.
Tous espèrent une levée des sanctions économiques décrétées par Donald Trump et le retour des Etats Unis au sein de l’accord sur le nucléaire iranien.

Mais la population iranienne semble résignée. Peu d’Iraniens pensent que cette élection changera leur quotidien : les rares sondages disponibles annoncent un taux d’abstention record.

Nous avons demandé à Jonathan Piron, historien, spécialiste de l’Iran au centre d’études Etopia, de nous décoder les enjeux de ce scrutin.

W. F. : Quels sont les enjeux principaux pour les élections de ce vendredi en Iran ?

Jonathan Piron : Les enjeux pour l’élection qui va se tenir ce vendredi en Iran sont assez clairs, ils sont sociaux et économiques. Il y a eu de nouveaux trains de sanctions qui ont été mis en place par les Etats-Unis demandés par Trump de l’accord sur le nucléaire. Et qui ont eu un fort impact en fait sur le quotidien des Iraniens. Même si du point de vue macro l’économie ne s’est pas effondrée, les impacts sociaux ont été assez importants : l’inflation aujourd’hui atteint les 40%, il y a à peu près 24% de la population qui serait au chômage, 30% de la population travaille également dans un secteur informel et est donc assez fragilisée par la hausse des prix des matières premières et par aussi la difficulté de trouver un emploi. Ce que souhaitent aujourd’hui les Iraniens c’est retrouver des perspectives sociales et économiques. Le problème c’est que les candidats qui se présentent aujourd’hui à l’élection rejoignent assez peu les aspirations de la population.

W. F. : Les questions sont nombreuses également en ce qui concerne le positionnement international de l’Iran après ces élections.

J. P. : Un autre enjeu est celui du positionnement de l’Iran après ces élections et avec le nouveau président qui devrait être un ultra conservateur. Sur les négociations en cours actuellement pour relancer l’accord sur le nucléaire, il semblerait qu’il n’y ait pas de grandes modifications puisque l’accord ou les nouvelles négociations sont soutenus par le Guide suprême en Iran qui est le véritable chef d’Etat. Ce qui par contre pourrait avoir un impact c’est un changement de ton. Si on se retrouve avec un ultraconservateur à la tête du pays, il va y avoir des remontrances, des critiques beaucoup plus fortes dirigées contre l’Occident. Alors qu’on a vu avec Rohani et son ministre des Affaires étrangères Zarif, une ouverture au dialogue, il semble probable ici qu’il y ait une fermeture avec des critiques plus fermes adressées dans des négociations avec les pays occidentaux, et un refus de l’Iran de négocier sur certains sujets problématiques comme son programme de missiles balistiques et également son influence dans la région.

W. F. : Le retour des Etats-Unis dans l’accord sur le nucléaire iranien devrait-il améliorer in fine la situation des Iraniens ?

J. P. : Le retour à l’accord sur le nucléaire est aussi défendu par les camps des différents candidats, parce qu’il doit permettre via la levée des sanctions, à ce que l’Iran récupère des moyens financiers, notamment sur la vente des hydrocarbures, et notamment sur l’accès à certains biens importés et exportés. Maintenant l’économie iranienne est dans un état très difficile, le problème est qu’il faut réformer le système bancaire et qu’il faut également attirer des investissements, il faut également lutter contre a corruption, et donc, même si le prochain président va disposer de marges plus importantes, il se retrouve quand même devant un enjeu qui peut lui paraître insurmontable, c’est celui de réformer l’économie pour qu’elle parvienne à s’installer dans une croissance durable.

W. F. : Peut-on dire que cette élection prépare un changement plus profond dans le pays ?

J. P. : Cette élection présidentielle est aussi intéressante à suivre parce qu’on se trouve au début d’une nouvelle décennie. C’est en effet un président qui en général est réélu pour deux mandats, et qui donc pourrait être en place pour huit ans. Et on est de plus en plus en train de parler de la succession du Guide Khamenei qui a 82 ans. Donc celui qui va devenir président aujourd’hui pourrait être en fait la personne arbitre qui pourrait justement intervenir dans ce débat en coulisses pour la succession, voire se profiler pour succéder au Guide Khamenei. On pense ainsi à Raissi qui est ultra-favori à ces élections., et qui essaie d’ailleurs de jouer un rôle d’arbitre entre les différentes factions. S’il réussit son mandat présidentiel il pourrait être un candidat assez fort à la succession du Guide.

On se rend compte aussi que la situation politique intérieure est actuellement très défavorable aux réformateurs et aux pragmatiques, et que ce sont plutôt les ultraconservateurs et les nationalistes qui maintenant vont occuper le devant de la scène politique avec peut-être justement la tentation de se contenter d’une faible participation aux élections, pour être sûr de rester en place pour la suite et de bloquer les candidats réformateurs et conservateurs dans leur accession au pouvoir.

W. F. : Le sujet environnemental est aussi de plus en plus incontournable…

J. P. : On parle évidemment beaucoup des enjeux sociaux et économiques qui aujourd’hui pèsent sur le devenir de l’Iran, mais il y a aussi une question qui devient de plus en plus importante c’est la question environnementale. Il y a en effet toute une série de sécheresses qui frappe l’Iran, le taux de précipitations est parmi les plus bas de ces dernières années, il y a également eu des feux de forêts. Et des questions se posent sur certains investissements dans de grands projets, de grandes infrastructures, notamment des transferts d’eau assez importants et qui mettent en difficulté des zones agricoles. Et il est possible que dans les prochaines années cette tension environnementale s’accroisse, on voit d’ailleurs une contestation environnementale survenir de temps en temps dans certaines régions, il y a également des militants environnementaux quoi sont arrêtés. Et sans vraiment la mise en place d’une politique structurelle qui va répondre à ces enjeux, on pourrait s’attendre à ce que ces tensions s’accroissent et mettent alors la survie économique et sociale du pays en difficulté.

Il y a une prise de conscience des enjeux environnementaux dans l’espace public, mais il a été peu abordé par les candidats à l’élection présidentielle, puisque le principal enjeu est social et économique. Il y a eu lors du premier débat mention de la question environnementale, mais elle est en fait secondaire dans les moyens qui vont être mis en place ou qui vont être proposés comme étant nécessaires par les candidats à la présidence. À partir du moment où ces tensons vont s’accroître, il est possible, voire probable, que l'enjeu va occuper une place plus grande dans les propositions politiques, mais on reste toujours dans la vision de l’environnement au service de l’économie, par exemple avec la construction de grands barrages hydrauliques, censés résoudre la question de la redistribution de l’eau, mais qui on le voit d’ailleurs de plus en plus aujourd’hui sont en fait des mauvaises réponses qui aggravent d’ailleurs un peu plus les tensions environnementales qui existent aujourd’hui dans le pays.

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