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“Le débat sur la place des transgenres dans le sport doit être réglé par la science”

Sandra Forgues, championne olympique de canoé chez les hommes

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Par Olivier Daelen

Pendant plusieurs semaines, la RTBF va publier chaque jeudi un épisode de la série "ex aequo". Dix histoires inspirantes d’athlètes professionnel·le·s confronté·e·s à des discriminations de race, de genre, d’orientation sexuelle ou de handicap. Un podium sans filtre et sans hiérarchie, en dix épisodes, redistribuant la parole à celles et ceux qui clament haut et fort leur droit à être classé·e·s Ex Aequo

Il y a 25 ans, Sandra Forgues remportait la médaille d’or aux Jeux d’Atlanta en slalom, chez les hommes. Aujourd’hui, cette jeune quinqua a pris les traits d’une femme. La concrétisation d’un sentiment refoulé depuis l’enfance.

A présent, la céiste veut que le sport ne constitue plus un frein à la transition des personnes transgenres.

Si Sandra se sent aujourd’hui enfin bien dans sa peau, elle ne regrette pas d’avoir attendu ses 45 ans pour franchir le cap. “Je retiens tout ce qu’il y a eu d’agréable dans ma vie d’homme et j’oublie le reste”. C’est son caractère, optimiste à souhait. “Je m’estime même chanceuse d’avoir pu vivre à la fois sous l’apparence d’un homme et sous celle d’une femme. Je suis sûre que beaucoup de personnes aimeraient pouvoir faire pareil”, sourit-elle.

Derrière ce bel élan de positivité se cachent des décennies de souffrance, durant lesquelles la céiste a eu l’impression d’accompagner “une personne qu’elle n’était pas”. Pour enfouir ce “besoin vital” d’être une femme, elle s’est forgé une carapace de virilité via le sport. Aujourd’hui, Sandra veut que le sport serve, à l’inverse, de tremplin pour tous les jeunes qui éprouvent ce qu’elle a vécu. L’occasion de livrer une réflexion profonde sur le sport féminin dans toute sa complexité. Tout en nuance et sans aucune prétention à détenir la vérité.

Ex Aequo ! Sandra Forgues

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Le genre amène une meilleure connaissance de l’être humain

Vous dites dans le documentaire que “le sport, porteur de valeurs d’inclusion, doit servir d’outil à l’humanité pour s’ouvrir à l’autre”. Concrètement, comment cela devrait-il se traduire ?

L’être humain a toujours été dans le jeu, dans l’affrontement. Ce combat est soit vrai soit virtuel. Dans le second cas, il se déroule à travers le sport et il n’amène ni souffrance ni mort. Le sport est universel. Partout où il se développe fortement, la guerre recule. Quand les conflits cessent, les soldats continuent de s’affronter via le sport. C’est un phénomène qu’on retrouve aussi dans les quartiers difficiles. Pourquoi ? Car le sport permet de retrouver cette sensation d’invincibilité, dans un cadre bien plus valorisant pour l’élévation de la société. Les valeurs qu’il apporte (partage, acceptation de la défaite, entraînement, régularité) sont aussi celles auxquelles il faut aspirer pour devenir un meilleur être humain. Il y a donc un réel intérêt à promouvoir l’activité sportive, partout.

Et a fortiori l’activité sportive qui inclut des personnes discriminées en société.

Oui, à commencer par le sport féminin, car il améliore la perception de l’égalité homme/femme. Et, évidemment, il faut aussi inclure les minorités, telles que la communauté LGBT. Rappelons qu’aux premiers JO, il n’y avait personne de couleur. Tout ça a bien heureusement changé : le sport a servi de facteur d’inclusion pour ces personnes-là. Il doit à présent jouer ce rôle pour les transgenres, entre autres. Le tout petit bémol que j’émettrais, c’est qu’il ne faut pas que ça se fasse au détriment du sport féminin, à savoir celui qui aujourd’hui concerne les femmes biologiques.

C’est-à-dire ?

Tout le monde sait qu’à valeur égale, les femmes ont des capacités physiques inférieures à celles des hommes. Toutefois, on voit à présent qu’il n’y a pas que la biologie qui compte. C’est un spectre bien plus large, dont le genre fait partie intégrante. Celui-ci définit des facteurs sociaux, différents de ceux de la biologie. J’aime utiliser l’analogie de la mécanique et de la science. Newton a défini ce qu’on observait : la mécanique. Einstein y a amené une explication beaucoup plus étendue. C’est la même chose ici. Le genre amène une meilleure connaissance de l’être humain. Or, le sport s’appuie toujours sur cette dichotomie simpliste. Il faut que ça change.

Que proposez-vous comme changement permettant d’aller au-delà de cette dichotomie purement biologique ?

Aujourd’hui, je n’ai pas de réponse tranchée à donner. La notion de genre est nouvelle. Une de mes idées, ce serait d’introduire une catégorie mixte dans tous les sports où il n’y a pas un réel avantage physique à être un homme. C’est déjà le cas en équitation. Mais par exemple, ça devrait être davantage le cas dans les sports automobiles. Certes, les femmes n’y sont pas interdites. Mais de grandes carrières leur sont barrées à cause d’un frein psychologique qui fait croire qu’elles manient moins bien les bolides que les hommes. Ce que je veux dire par là, c’est qu’on confond le sport féminin, qui comprend la femme au sens biologique, et le genre féminin. C’est tout le terme " sport féminin " qui doit être redéfini.

Et les transgenres, comment les inclure parmi tout ça ?

Au niveau amateur, il faut une inclusion totale. Sauf s’il y a un danger, bien sûr. Au haut niveau, la réflexion doit être très profonde. Ici non plus, il n’y a pas de réponse toute faite. En réalité, deux camps s’opposent : ceux qui sont pour une liberté totale et ceux qui ne veulent aucun changement. Chacun amène les études scientifiques qui lui conviennent pour prouver qu’il a raison. Or, la science fonctionne tout à fait à l’inverse. On prend un sujet, on l’étudie et puis on trouve un résultat. C’est donc la science qui nous apportera une réponse précise. Il faudra se baser uniquement sur ces données objectives pour reréfléchir au concept de sport féminin.

Vous pensez que cette réponse arrivera rapidement ?

Moi, je sais que j’ai perdu 15% de mes capacités physiques lors de ma transition. Et personne ne sait dire pourquoi car il n’y a eu aucune étude sur le sujet. Aujourd’hui, les personnes transgenres osent davantage s’afficher en société. Il va donc y avoir de plus en plus de personnes qui voudront faire leur transition pendant une carrière sportive. C’est un nouveau phénomène social, à dépassionner. Les études sur le sujet vont se multiplier.

Des athlètes transgenres participeront pour la première fois aux JO, cet été, chez les femmes, car elles ont un taux de testostérone suffisamment bas. Qu’en pensez-vous ?

C’est un premier pas très positif du CIO, qui a établi un critère allant vers davantage d’inclusions. Mais se baser sur la testostérone n’est pas suffisant car ça va continuer d’exclure certains athlètes… tout en en incluant d’autres qui tireront un avantage réel de par leur passé d’homme biologique. La réflexion doit aller beaucoup plus loin pour que tout le monde y trouve son compte. Encore une fois, la science sera la clé.

- Que diriez-vous à un jeune sportif qui aspire à une carrière de haut niveau et qui ressent ce que vous ressentiez durant votre jeunesse ?

Désormais, on sait que l’humain a une dimension biologique et une autre sociale, de genre. Ce second pilier a trait à ce qu’on ressent de soi-même et à la façon dont on veut être perçu. C’est ça qui nous définit. Il ne faut donc pas se poser la question de savoir si on a le droit ou non d’entamer une transition tout en visant le sport de haut niveau. Bien sûr que oui. Il faut toutefois savoir qu’une transition prend énormément d’énergie. C’est donc peu compatible avec le sport de haut niveau. Ceux qui y arrivent sont des êtres incroyables. Mais il faut aussi noter qu’il est primordial de se sentir bien dans sa peau pour envisager de faire une grande carrière. Je dirais donc à ce jeune de faire sa transition s’il sent que c’est le moment, sans que son sport n’influence sa décision. Il doit ensuite continuer à faire sa passion et, s’il arrive vraiment à percer, ce sera aux instances de définir le cadre dans lequel il ou elle pourra s’inscrire.

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