Belgique

Lutter contre les inégalités : "Cela coûte plus cher à nos États de rattraper les personnes quand elles sont tombées, que d’éviter qu’elles tombent"

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Par Miguel Allo sur base d'une interview de Thomas Gadisseux

Comment expliquer que les inégalités se creusent en Belgique ? Quelles en sont les causes ? Face à ce constat, une vingtaine d’intellectuels, de chercheurs, de professeurs et d’acteurs de terrain, lancent le think tank "InES" ("Inclusion-Egalité-Solidarité"), un groupe de réflexion sur le sujet. Cela débouche sur un site avec à la fois des constats, des analyses, mais aussi des propositions.

Céline Nieuwenhuys, secrétaire générale de la Fédération des services sociaux et Andrea Rea, professeur ordinaire en sociologie à l’Université Libre de Bruxelles (ULB) étaient sur les antennes de la Première ce matin pour en parler.

Nous engager passionnément à lutter contre les inégalités

Avant de répondre aux questions, Céline Nieuwenhuys a souhaité nous parler d’amour à sa façon. "Ce 14 février, je souhaite rappeler que lutter contre les inégalités sociales et économiques est l’acte le plus déterminant pour soutenir les femmes, leur épanouissement et leur émancipation." Elle précise que "cela marche beaucoup mieux que les fleurs". Elle rappelle aussi alors qu’aujourd’hui on parle d’amour et de couple, que ce sont ses effets pervers (la dépendance économique, la charge mentale, les violences verbales et physiques, les abus de pouvoirs) qui sont souvent tus et cachés tous les jours. Et donc en ce jour de Saint-Valentin : "Je voulais nous souhaiter [à toutes et tous] de nous engager passionnément à lutter contre les inégalités."

Inégalités et pas pauvreté

Pour Céline Nieuwenhuys parler d’inégalités, c’est aborder la concentration des richesses face à la pauvreté. L’écart entre les deux est remis en question, mais aussi les mécanismes qui y conduisent. "Quand on parle de pauvreté, on a un peu l’impression que c’est immuable […]. Les inégalités sont un phénomène dynamique, ce sont des décisions politiques et sociétales qui les produisent." Le but du groupe de réflexion "InES" est de tenter d’éclairer ces mécanismes et de montrer comment les inégalités sont produites par les décisions politiques.

On constate qu’une crise chasse l’autre

Andrea Rea, qui dénonce depuis des années cette reproduction des inégalités dans la société, explique que le déclic à la création du think tank "InES" a surtout été la crise du Covid-19. Il rappelle qu’il était alors question de penser à la société d’après. "En fait, on constate qu’une crise chasse l’autre, notamment avec celle de l’énergie où on voit une reproduction des mêmes inégalités qu’on avait vues avant." L’idée était donc de créer un collectif, dit-il, de personnes indépendantes pour penser, produire des analyses collectives, des propositions politiques pour essayer de renverser les inégalités structurelles. "Chaque fois qu’une politique est énoncée, on essaye d’imaginer quelles sont les conséquences en termes d’inégalités qu’elles vont produire. Et si elles produisent des inégalités, il faut la repenser depuis le début et ne pas compenser les effets négatifs de la politique."

L’écart entre ceux qui ont le moins de ressources et ceux qui ont le plus

En quoi ces éléments ne transcendant pas l’action politique ? La question du genre, par exemple, est désormais notée comme un marqueur dans le discours politique.

En Europe, rappelle Andrea Rea, les inégalités sont moins importantes qu’ailleurs dans le monde. "Néanmoins, l’écart entre ceux qui ont le moins de ressources et ceux qui ont le plus, mais aussi surtout entre ceux qui ont le moins d’accès à certaines ressources et ceux qui ont le plus, s’est agrandi au cours des trente dernières années." Des mesures existent afin de réduire ces inégalités, mais elles sont toujours pensées sous la forme de compensations et non pas de façon structurelle, explique le professeur en sociologie.

Les paramètres existent, illustrant la crise sociale et économique qui s’installe. Les banques alimentaires tiraient la sonnette d’alarme face à une demande qui augmente, la fin du tarif social élargi fait également parti de l’actualité, etc.

Un filet social existe tout de même en Belgique. Alors pourquoi dénoncer que l’action sociale n’est pas dictée par la question des inégalités ? Céline Nieuwenhuys, précise que la question des inégalités est souvent dans les mains d’un seul ministre, celui du social et de l’intégration sociale (Karine Lalieux (PS) est actuellement la ministre fédérale de l’Intégration sociale et de la Lutte contre la pauvreté, ndlr.). Or, dit-elle, "on sait bien que la production d’inégalités est transversale".

L’aide alimentaire est pour elle un bon exemple : "l’aide alimentaire, ce n’est pas un horizon. L’aide alimentaire c’est une mesure compensatoire des personnes qui ne parviennent plus à accéder à l’alimentation qui est un besoin de base."

Idem pour le tarif social, il s’agit d’une mesure compensatoire qui s’arrête à présent. Et "en s’arrêtant elle va créer des inégalités importantes".

Raison pour laquelle, le groupe de réflexion "InES" propose des mesures pour éviter de produire des inégalités. Car une fois que les inégalités sont produites "cela coûte plus cher à nos États de rattraper les personnes quand elles sont tombées et que d’éviter qu’elles tombent".

Comment changer notre système

La secrétaire générale de la Fédération des services sociaux donne des exemples pour changer notre système. Concernant l’aide alimentaire, de nombreux pays ont constaté qu’elle coûtait plus cher "que de réfléchir à un accès à une alimentation de qualité. Parce que, par exemple, les inégalités autour de l’aide alimentaire créent des inégalités de santé, des inégalités environnementales." Il est dès lors important de mettre autour de la table des personnes qui réfléchissent aux inégalités à partir de thématiques différentes.

Les pays nordiques sont souvent cités en exemple. Mais a-t-on la capacité en Belgique de transformer notre système ?

Andrea Rea rappelle que la question de la répartition est importante. Dans les pays nordiques et en particulier les Scandinaves, la pression fiscale est importante. Et il y a une acceptation qu’il y ait un bien commun pour défendre l’égalité.

L’exemple de la fracture numérique

Mais il n’y a pas que les questions liées au budget, précise le professeur en sociologie. Il donne l’exemple de la crise sanitaire lorsque s’est développé le télétravail, "parce qu’on trouvait que c’était bien". Le télétravail a aussi conduit des administrations, des communes, mutuelles, syndicats, etc. à considérer qu’il était préférable d’utiliser internet pour obtenir un rendez-vous, plutôt qu’un guichet. "Et on voit bien que cela a un effet catastrophique aujourd’hui sur la question des inégalités." Et "il faut des guichets qui soient ouverts pour la population la plus précarisée. Et dans cette population, il y a aussi les personnes âgées".

il faut rétablir des guichets partout

Il ne s’agit donc pas que d’une question économique et "aujourd’hui, il faut rétablir des guichets partout pour réduire les inégalités d’accès pour certaines populations qui ne savent ni lire ou écrire et celles qui n’ont pas accès au matériel numérique".

Entrer en politique ?

Le but, nous dit Andrea Rea, n’est pas d’entrer en politique, mais d’alimenter le débat public. "C’est un débat d’idées." Le discours, s’adresse aux politiques, aux médias et aux citoyens.

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