Dans son livre, Sandel expose que la crise de la démocratie, le rejet du politique, l’élection de Donald Trump, l’explosion du populisme sont alimentés par l’idée du mérite, par la méritocratie.
Généralement, on explique que c’est l’explosion des inégalités qui a produit ce ressentiment. C’est une thèse défendue par de nombreux progressistes.
Michael Sandel est aussi un progressiste, mais il dit que ce ne sont pas les inégalités qui posent problème mais plutôt le discours qui les justifie. L’idée que les salaires, les patrimoines, les positions sociales reflètent l’effort, le risque, l’engagement que les individus ont mis dans leur travail, leurs études, leurs projets. L’idée que la société valorise le mérite personnel, que la valeur travail paie : plus on travaille, plus on exploite ses talents, plus on est intelligent, plus on a du mérite et plus on gagne. C’est le discours qui domine aux États-Unis, tant chez les républicains que chez les démocrates. En Belgique, il est aussi dominant.
Pourtant, Sandel considère que ce discours est destructeur. Il serait même, selon lui, responsable de l’effondrement de la démocratie parce que le mérite a deux faces : il valorise autant qu’il dévalorise. Ceux qui ne réussissent pas, ou pas autant qu’ils le voudraient, sont ramenés à leur responsabilité personnelle. Si la réussite est liée au mérite, ceux qui restent dans le bas de l’échelle sociale considèrent assez logiquement que c’est de leur faute.
Michael Sandel le montre, en citant de très nombreuses études en sociologie, la réussite est liée à beaucoup d’autres facteurs que le mérite : la naissance (l’oreille absolue pour un musicien, la beauté pour un mannequin), le milieu dans lequel on a grandi (famille de diplomates ou d’ouvriers), la chance. Bref citer à tout bout de champs le mérite est insultant pour ceux qui ne réussissent pas. En résumé, le mérite est l’opium de l’élite. Ce discours de justification de l’injustice produit un ressentiment massif contre ceux qui ont réussi : les élites.