Belgique

Augmenter les tarifs pour faire baisser la consommation d’eau, la fausse bonne idée

©  Carol Yepes/ Getty Images

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Par Daphné Van Ossel

Le maire de Grasse, en France, a décidé d’augmenter le prix de l’eau en été. Sa ville de la Côte d’Azur est en alerte sécheresse depuis plus d’un mois. Il souhaite voir "baisser la consommation durant les périodes les plus difficiles", explique France Info. Les petits consommateurs paieront 1 euro par mètre cube de juin à septembre, et 60 centimes d’octobre à mai.

Une telle initiative ne serait pas envisageable en Wallonie. En période de sécheresse, les communes peuvent bien prendre des arrêtés de police pour limiter la consommation de l’eau de distribution (interdiction de remplir sa piscine, de laver sa voiture ou sa terrasse, d’arroser son jardin…). À Stoumont, par exemple, il n’y a pas encore d’interdiction mais les autorités demandent aux habitants de les prévenir avant de remplir leur piscine.

Autorisations pour remplir sa piscine à Stoumont

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Cependant, les bourgmestres ne peuvent pas agir sur les prix. Toute modification du prix de l’eau en Wallonie doit être approuvée par le Comité de Contrôle de l’Eau, et les distributeurs sont tenus d’offrir des tarifs accessibles. "C’est inclus dans notre contrat de gestion avec la Région, explique Benoît Moulin, porte-parole de la SWDE, la Société wallonne des eaux, le plus important distributeur wallon. Nos prix doivent rester abordables pour les ménages."

Au cabinet du ministre en charge, Willy Borsus, on signale qu’on n’envisage pas une augmentation des prix pour faire baisser la consommation, quelles que soient les modalités concrètes : "L’eau étant un bien de première nécessité, une telle mesure n’est pas envisagée par le ministre."

L’eau étant un bien de première nécessité, une telle mesure n’est pas envisagée

Marche arrière

À Bruxelles, on a déjà tenté le coup, avant de faire marche arrière. En 2005, la Région a mis en place une tarification progressive. "Plus on consommait, plus c’était cher", résume Saar Vanderplaatsen, porte-parole de Vivaqua. Le principe était celui d’un prix croissant de l’eau en fonction du volume total consommé par personne, selon quatre tranches : vitale, sociale, normale et de confort. Le but était à la fois d’inciter les ménages à consommer moins d’eau, et de permettre aux ménages plus modestes de disposer d’une quantité d’eau couvrant les besoins vitaux à un prix réduit.

Il s’est avéré que la tarification progressive n’était en fait ni écologique, ni sociale. Xavier May, chercheur à l’IGEAT (Institut de Gestion de l’Environnement et d’Aménagement du Territoire, ULB), a mené l’étude qui est arrivée à cette conclusion, et qui a donc amené les autorités bruxelloises à revenir à une tarification linéaire.

"On n’a remarqué, à Bruxelles et en Belgique, aucun lien entre la consommation d’eau et le prix, dit-il. Quand le prix était stable, la consommation a diminué, et quand le prix de l’eau a fortement augmenté, la consommation d’eau s’est stabilisée. Je ne dis pas que si on triplait le prix de l’eau du jour au lendemain, ça n’aurait pas d’effet sur la consommation, mais la modification de la tarification de l'eau n’a pas d’impact."

La modification de la tarification de l'eau n’a pas d’impact

Plus de 60% des ménages bruxellois vivent dans un immeuble, ils ont donc des compteurs collectifs, et par conséquent pas de factures individuelles.

"La plupart des ménages ne connaissent pas les tarifs de leur facture d’eau. À l’époque les gens ne savaient pas que c’était progressif, maintenant, je ne pense pas qu’ils savent que c’est linéaire, donc comment voulez-vous que ça ait un impact ?

Plan sécheresse

Dans son analyse, Xavier May cite une autre étude, coordonnée par l’Agence européenne pour l’Environnement, qui conclut que, dans cinq des huit pays européens étudiés, une modification du prix de l’eau ne semble pas avoir un impact significatif sur la quantité consommée d’eau par les ménages. " Les preuves que la tarification [de l’eau] puisse avoir un impact sur un usage plus efficace de l’eau sont limitées, si tant est qu’elles existent. Et la relation entre les mécanismes de tarification et leurs effets sur la demande en eau est souvent peu claire ", dit cette étude.

Par ailleurs, interroge Xavier May, faut-il vraiment baisser la consommation d’eau à Bruxelles ? "La consommation est basse dans la capitale. Au cours des vingt dernières années, elle a baissé, mais ce n’est pas lié à la tarification, c’est lié à des progrès techniques (des chasses économiques, des lave-linge plus performants…). Y a-t-il encore de la marge pour une réduction ? Ne faut-il pas surtout agir au niveau de l’industrie et de l’agriculture ?

Carte élaborée par la RTBF en collaboration avec le Centre régional de crise, Aquawal et les opérateurs et distributeurs de l'eau. Elle présente l'état de nos ressources en eau le 06/06/2023.
Carte élaborée par la RTBF en collaboration avec le Centre régional de crise, Aquawal et les opérateurs et distributeurs de l'eau. Elle présente l'état de nos ressources en eau le 06/06/2023. © RTBF

Le contexte belge est par ailleurs très différent de celui de la Côte d’Azur. On ne connaît pas un afflux de touristes aussi importants, et nos réserves d’eau ne se portent pas aussi mal.

Cela dit, la Wallonie ressent déjà les effets du changement climatique, avec la multiplication des épisodes de sécheresses et de pluies intenses (qui pénètrent moins bien les sols, alimentent moins bien les réserves). Et ce phénomène va s’accentuer. La Région wallonne a donc lancé un plan sécheresse (la stratégie intégrale sécheresse), mais une modification de la tarification n’en fait donc pas partie.

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