Brabant wallon

Une mystérieuse pollution au chloroforme dans le sous-sol du parc scientifique à LLN, la nappe est contaminée

Pollution au chloroforme à Louvain-La-Neuve (H. Van Peel 06/06/2023)

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Par Hugues Van Peel

Une importante pollution au chloroforme, un solvant toxique, a été détectée dans le parc scientifique géré conjointement par l’UCLouvain et l’intercommunale inBW à Louvain-la-Neuve. La découverte remonte à une quinzaine d’années, mais le Service public de Wallonie vient seulement de présenter les conclusions de son rapport aux gestionnaires du site, ainsi qu’aux autorités communales d’Ottignies-Louvain-la-Neuve et de Mont-Saint-Guibert, le parc se trouvant à cheval sur les deux localités.

Un très long délai s’est donc écoulé depuis les premières analyses. L’étendue et la profondeur de la pollution ont nécessité de minutieuses investigations, au rythme des mouvements de l’eau et des polluants dans la nappe aquifère. A ce stade, la source de la contamination n’a toujours pas été identifiée. S’agissait-il d’une fuite diffuse ou d’une fuite massive ? Quelle quantité de produit a été perdue ? On l’ignore également.

Selon la Région wallonne, cette pollution invisible ne présente aucun risque pour la santé, sauf à consommer de l’eau provenant directement de la nappe polluée. En principe, c’est impossible car l’eau pompée dans le parc scientifique est destinée à un usage industriel. Mais 65 entreprises implantées dans le périmètre concerné ou à proximité ont tout de même été invitées à ne plus utiliser l’eau qui sortirait d’anciens puits ou de captages non-déclarés. Par ailleurs, tout nouveau forage sera désormais interdit, afin de ne pas accélérer la circulation de l’eau souterraine et des polluants.

Du chloroforme découvert par hasard

C’est donc en 2007 qu’on relève un taux anormal de chloroforme dans un captage, lors d’un banal contrôle sur le site d’une entreprise du parc scientifique. Les concentrations à cet endroit et dans les alentours immédiats fluctuent entre 20 et 100 fois la norme. D’autres analyses effectuées sur un piézomètre (un appareil de mesure) appartenant à l’UCLouvain confirment, à peu près au même moment, que la nappe située à plus de quarante mètres de profondeur est polluée.

"On a fait des analyses dans le temps pour voir comment ça évoluait, explique Vincent Lebrun, ingénieur hydrogéologue, spécialiste des pollutions et responsable de ce délicat dossier à la direction des eaux souterraines du Service public de Wallonie. Et on s’est rendu compte que la pollution était persistante. C’est à ce moment-là qu’on s’est dit qu’il devait y avoir un souci important et que ce n’était pas juste une pollution ponctuelle, comme on en rencontre assez souvent en Région wallonne et pour laquelle on peut assez 'facilement', faire des travaux de dépollution."

Des traces en amont

Les soupçons se portent naturellement sur l’entreprise où la contamination a été mesurée. De nouvelles analyses sont réalisées à cet endroit, pour tenter de trouver la source de la pollution et comprendre comment le chloroforme a pu atteindre le puits. Mais elles n’apportent pas de réponses claires et ne permettent pas non plus de prouver que l’entreprise en question est effectivement responsable de la pollution. C’est même plutôt l’inverse qui se produit : on relève des traces de chloroforme en amont du site, ce qui surprend les experts.

"Une fois qu’un polluant est dans l’eau souterraine, il va se disperser dans le sens de l’écoulement de l’eau souterraine, poursuit Vincent Lebrun. C’est un écoulement beaucoup plus lent que ce qu’on peut observer dans une rivière. On parle de quelques mètres par an, voire quelques dizaines de mètres par an. Mais le principe est le même que pour une rivière, il y a un amont et un aval. Et ici, on s’est rendu compte que les concentrations de ce polluant étaient au moins aussi fortes vers l’amont, y compris jusqu’à la limite du terrain occupé par l’entreprise. On peut évidemment avoir ce qu’on appelle un effet de diffusion de pollution, c’est-à-dire que le polluant se diffuse aussi un peu vers l’amont, mais pas au point de ce qu’on a mesuré."

D’autres investigations à plus grande échelle sont alors lancées en dehors du site de l’entreprise, en utilisant les piézomètres de l’UCLouvain et en forant de nouveaux puits. C’est ainsi que les contours de la zone polluée sont progressivement tracés, en amont et en aval, sur une superficie de presque neuf hectares.

Une pollution ancienne ?

Sans exclure d’autres hypothèses, les experts de la Région wallonne acquièrent la quasi-certitude que la pollution est ancienne et qu’une quantité importante de solvant s’est répandue, profitant peut-être de fuites dans le réseau d’égouttage pour pénétrer le sol.

"La pollution est ancienne, nécessairement, parce qu’il a fallu que ce produit percole dans une couche de trente mètres de sable sec. Ça prend beaucoup de temps. Et puis, après, pour se disperser sur une si grande distance, il faut beaucoup de temps. A mon avis, ça remonte au tout début de l’exploitation des premières entreprises qui se sont installées dans le parc scientifique il y a plusieurs dizaines d’années."

Difficile néanmoins d’être plus précis et de pointer un responsable en particulier. Notamment parce qu’un certain nombre d’entreprises qui auraient pu utiliser du chloroforme ont aujourd’hui disparu ou ont quitté le parc scientifique. Sans compter qu’à l’époque, le stockage de ce produit et son usage étaient bien moins réglementés qu’ils ne le sont aujourd’hui.

La source probablement tarie

L’origine de la contamination reste donc un mystère. Et on n’a pas non plus l’absolue certitude que la source de la pollution est tarie, même si cette hypothèse est la plus probable.

"Maintenant qu’on a un réseau de piézomètres bien ciblé à l’endroit de la pollution, ça va être surveillé. Donc s’il y a encore une source active quelque part, ça se verra. Avec les mesures de la première entreprise, on a quand même un monitoring de plusieurs années et on n’a pas l’impression d’une augmentation significative au cours du temps. Mais on a besoin d’un peu plus de recul sur les nouveaux piézomètres qu’on a placés en amont, pour voir si là aussi on a quelque chose de stable. Ça prendra un certain nombre de mois et d’années, vu la vitesse à laquelle s’écoulent l’eau et donc les polluants qui vont avec."

Les analyses ont permis progressivement de tracer le périmètre de la zone contaminée, sur presque neuf hectares.
Les analyses ont permis progressivement de tracer le périmètre de la zone contaminée, sur presque neuf hectares. © Hugues Van Peel – RTBF

Quelles solutions ?

Pour la Région wallonne, cette pollution environnementale n'est pas si simple à gérer. Le chloroforme étant plus dense que l’eau, contrairement aux hydrocarbures qui flottent en surface, il a plongé et a contaminé une grande épaisseur de la nappe, ce qui rend toute opération de dépollution plus compliquée.

Prochainement, le gouvernement wallon devra d’ailleurs trancher parmi les solutions envisagées. L’option la plus raisonnable semble être la mise en place d’un système de surveillance, doublé d’un mécanisme de pompage et de traitement des eaux qui pourrait être activé s’il s’avère que la situation s’aggrave, afin d’éviter une éventuelle migration de la pollution vers les captages d’eau potable en aval.

Une autre possibilité, beaucoup plus radicale, serait une dépollution complète, nécessitant par exemple d’importantes excavations. Mais à moins d’identifier finalement le responsable, la Région ne pourra pas appliquer le principe du pollueur-payeur. C’est donc sur fonds publics qu’une telle opération devrait se dérouler. L’analyse coût-bénéfice sera décisive : faut-il dépenser autant d’argent pour un problème environnemental qui, selon les experts, ne présente pas de risque pour la santé ?

"Il y a eu des études très poussées dans la fameuse entreprise où on avait les plus grosses concentrations, précise Vincent Lebrun, le responsable du dossier au Service public de Wallonie. Le bureau d’experts qui a rédigé le rapport a travaillé de manière approfondie sur le risque humain. On a fait des analyses d’air dans le sol, dans le puits et dans les bâtiments et on a bien démontré qu’il n’y a pas de risque pour la santé humaine. Le seul risque, c’est l’utilisation de l’eau. C’est pour ça qu’on a lancé une enquête auprès des entreprises, pour vérifier que les eaux qu’on pompe ne posent pas de problème et qu’on n’envoie pas ça dans un robinet."

Une actualisation du cadastre des puits sera aussi très utile pour éviter d’accélérer la dispersion du chloroforme.

"Si on veut vraiment gérer le risque, il faut être certain qu’on connaît tous ceux qui pompent et à quelle distance ils pompent, pour ne pas attirer la pollution vers un puits et donc aggraver la situation environnementale."

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