Questions-Réponses

Où en est-on avec la "taxe carbone" ?

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Par Maud Wilquin

La fameuse taxe carbone dont on parle depuis 2009 va-t-elle finalement voir le jour en Belgique ? Eh bien oui, mais sous la forme d’une tarification européenne (un "prix carbone") et non d’une taxe à proprement parler, nous indique-t-on du côté du cabinet de la ministre du Climat, de l’Environnement, du Développement durable et du Green Deal Zakia Khattabi (Ecolo). Dès 2027, les entreprises énergivores (les raffineries de pétrole par exemple), l’industrie de production d’énergie et le secteur de l’aéronautique ne seront donc plus les seuls à payer pour émettre du CO2 issu de la combustion des énergies fossiles.

En effet, fin décembre, le Parlement européen et les États membres de l’Union européenne s’accordaient entre autres pour étendre les règles ETS (système européen d’échange des quotas d’émission de CO2) aux logements et aux transports routiers pour les particuliers (ETS-BRT, Emission Trading System for Road Transport).

De cette manière, les Vingt-Sept espèrent bien pouvoir concrétiser leurs objectifs climatiques, à savoir diminuer de 55% (47% pour la Belgique) les émissions de gaz à effet de serre d’ici 2030 par rapport aux niveaux de 1990 et atteindre la neutralité carbone d’ici 2050, soit une réduction de 90 à 95% des émissions de CO2.

Quel impact financier pour les concernés ?

Concrètement, cela signifie que toute personne qui se chauffe au gaz, au mazout ou au charbon et/ou qui utilise de l’essence ou du diesel pour se déplacer sera contrainte de puiser un peu plus dans son portefeuille.

Si le prix exact de cette tarification n’est pas encore connu, il peut toutefois être estimé. Et pour cela, il existe deux façons de faire : "Le prix dépendra des consommations européennes. Soit nous calculons en fonction de la consommation actuelle, soit nous imaginons que les objectifs de réduction d’émission de CO2 seront atteints, ce qui diminuera notre consommation", explique le cabinet.

Ainsi, le professeur titulaire en électromécanique à l’Université de Liège Damien Ernst a fait le calcul sur base de la consommation actuelle de gaz d’un ménage moyen et en imaginant que le prix de la tonne de CO2 appliqué aux citoyens serait le même que celui actuellement appliqué aux grandes entreprises, soit 100 €. "En sachant qu’un ménage moyen consomme 17 MWh de gaz et que la combustion d’1 MWh génère environ 200 kg de CO2, la taxe carbone annuelle reviendrait à environ 340 € par ménage."

Le gouvernement en revanche a fait le calcul en supposant que la Belgique aura atteint ses buts climatiques d’ici 2027 avec une différence notable : celle du prix de la tonne de CO2. Celui-ci ne devrait non pas être de 100 €/tonne comme pour les entreprises, mais bien de maximum 45 €/tonne jusqu’en 2030 au moins. "Cela signifie que nous paierons au maximum 10 centimes de plus par litre d’essence ou de diesel", commente le cabinet. A l’année, le fédéral estime le coût moyen pour une famille à 140 €. Au total, l’Union européenne devrait percevoir près d’1,5 milliard d’euros chaque année à partir de 2027.

Que faire de ces recettes ? "L’une des possibilités est que les Etats-membres reversent 25% de ces revenus au Fonds social pour le climat. En Belgique, cela représente environ 300 millions d’euros par an", ajoute le cabinet. Un fonds qui permettra aux personnes à faibles revenus et aux petites entreprises de financer l’isolation de bâtiments, l’achat d’énergies renouvelables et l’acquisition de moyens de transport plus verts.

"Pour ce qui est des 75% restants, la ministre a proposé de créer un ‘bonus climat’ sous la forme de chèques ou de crédits d’impôt. " Et ce bonus serait soit accordé à tous les ménages et pas seulement aux ménages les plus pauvres, soit aux ménages qui décident d’investir dans la rénovation des bâtiments, peu importent leurs revenus. "Le choix du gouvernement reste à faire", précise le cabinet. "Mais si nous choisissions de redistribuer l’argent à toute la population, chaque ménage recevrait la somme de 247 €, soit un bénéfice net par ménage de 107 €."

Voilà pour la théorie. Mais si le monde connaissait un nouveau conflit majeur, que se passerait-il ? "Pour atteindre nos objectifs climatiques, nous devons baisser notre consommation de 3% chaque année. Or, suite au conflit ukrainien et à l’augmentation des prix de l’énergie sur le marché, la consommation de CO2 des Belges a baissé de plus de 15% par rapport à la normale. Le prix carbone fluctuera en fonction de la situation. Au plus la consommation de CO2 diminuera, au plus le prix de la tonne de CO2 diminuera."

Le prix carbone, une bonne idée ?

Au-delà de l’impact financier, la "taxe" carbone est-elle une bonne idée ? "Oui", nous répondent Damien Ernst et Francesco Contino, ingénieur en électromécanique et professeur à l’UCLouvain. "Rendre un produit qui émet du CO2 plus cher favorise le recours aux alternatives", affirme Damien Ernst. Et "on a bien vu lors de la crise énergétique que le signal prix faisait davantage pencher la balance que les rapports multiples et détaillés du GIEC", confirme Francesco Contino. "Donc un mécanisme comme l’ETS qui a bien fonctionné sur les entreprises fonctionnera probablement bien aussi pour les ménages."

Toutefois, les deux experts insistent sur un point : la question de la redistribution des recettes. "Qui aide-t-on avec cet argent ? C’est là que doit être la vraie question politique", affirme Damien Ernst. Selon les professeurs, la mise en place de cette mesure pourrait engendrer davantage d’inégalités sociales si la redistribution de l’argent se faisait via des primes à la rénovation par exemple. "Il est facile pour les personnes qui ont les moyens d’installer une pompe à chaleur, des panneaux photovoltaïques ou encore d’investir dans une voiture électrique", commente Francesco Contino. "Il faut pouvoir accompagner la mise en place de la taxe carbone, expliquer à quoi elle servira et montrer la balance des coûts."

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