Belgique

Discriminations en discothèque : "On nous donne clairement la consigne de refuser les Arabes et les Noirs"

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Par Sophie Mergen

C’est un fait punissable par la loi. Mais la discrimination à l’entrée des discothèques est encore et toujours une réalité.

C’est en tout cas ce qu’affirme Mounir Laarissi (Les Engagés), échevin à Jette. Le 1er juin dernier, il se rend avec deux amis dans la célèbre boîte de nuit bruxelloise "Les Jeux d’Hiver".

"Il était environ minuit. On nous a refusé l’entrée. Au début, on pensait que c’était une blague. Mais pas du tout. L’agent de sécurité nous a dit que c’était une volonté de la direction", explique-t-il.

C’était clairement un délit de faciès

Mounir Laarissi et ses amis entament alors une discussion avec l’agent de sécurité, afin de connaître les raisons réelles du refus. "On a demandé si c’était pour une raison vestimentaire. L’agent nous a répondu que non, 'que les vêtements, ça allait'. Il nous a regardés en souriant en faisant plein de sous-entendus. C’était clairement un délit de faciès".

De son côté, le directeur des Jeux d’Hiver nie toute discrimination raciale. "Je n’ai pas assisté personnellement à la scène mais ce que l’on m’a rapporté, c’est que l’un des trois hommes n’était pas habillé correctement" déclare Cédric d’Alcantara.

Mounir Laarissi nous montre pourtant une photo qui prouve le contraire. Tous les trois portaient une chemise.

On se sent humilié

"Je me suis senti humilié, scandalisé. J’ai dû garder mon sang-froid. Certaines personnes pourraient réagir de manière violente. Cela peut amener des personnes qui n’ont pas beaucoup de recul à créer du communautarisme".

Close up of shoes on the red carpet.
Close up of shoes on the red carpet. © Tous droits réservés

Une version décriée par le directeur des Jeux d’Hiver, qui se dit énervé et ému. "Je pense accepter des gens de toutes origines. Se référer directement à une question raciale, c’est un raccourci. A un an des élections, c’est sans doute électoraliste".

Le secteur a beaucoup évolué

Et d’ajouter : "On est bien loin de ce qui se faisait dans les années '80 ou '90. Je reconnais qu’il y a eu des problèmes dans le passé. Je ne dis pas qu’on a toujours été parfaits. Mais on a bien évolué sur la question de la discrimination, même s’il y a toujours encore une marge de progression".

En dix ans, entre 2013 et 2023, Unia a reçu 188 signalements pour discrimination dans les dancings. Un chiffre sans doute largement inférieur à la réalité, car rares sont ceux qui portent plainte ou qui signalent l’incident.

Certains patrons nous donnent des consignes claires. D’autres nous font comprendre subtilement qui on doit refuser

Un agent de sécurité a accepté de témoigner anonymement sur les consignes émanant des patrons de boîtes de nuit. Il travaille dans plusieurs établissements de la région de Charleroi, Bruxelles et Mons.

D’emblée, il pose le cadre. "Oui, ça existe encore des patrons de discothèques qui disent 'on ne veut pas de personnes de couleur'".

"On a souvent clairement la consigne de refuser les Noirs et les Arabes. On me demande aussi de ne pas accepter les réfugiés, dans certains coins où il y a un centre d’accueil tout près".

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"Les mentalités changent petit à petit mais cela existe encore. Clairement, un Blanc rentre toujours plus facilement. Certains patrons le disent ouvertement. D’autres te le font comprendre".

On se fait traiter de traître

Etant lui-même d’origine maghrébine, cet agent de sécurité avoue que ce n’est pas simple à gérer. "On se fait traiter de traître. C’est difficile. On essaie de trouver des excuses comme les vêtements, etc. Ou parfois, on n’applique tout simplement pas les consignes du patron".

Une discrimination impossible à prouver ?

Du côté d’Unia, on confirme le caractère de plus en plus insidieux de la discrimination. "Il y a encore vingt ou trente ans, on voyait des annonces 'Pas de Noirs', 'Etrangers s’abstenir'. Aujourd’hui, il est communément admis par tout le monde que la discrimination raciale est moralement et légalement répréhensible. Mais le revers de la médaille, c’est que cette discrimination est de plus en plus insidieuse" détaille Patrick Charlier, directeur d’Unia.

"Cette volonté de discriminer est cachée grâce à des prétextes. Cela peut être le dresscode, la nécessité d’avoir une carte de membre. Cela pose donc le problème de la preuve. On ne va plus refuser quelqu’un explicitement pour sa couleur de peau".

Unia encourage néanmoins à continuer de signaler les discriminations, afin que le phénomène ne devienne pas invisible.

Une lente évolution

Peut-on tout de même noter une évolution positive quant au racisme dans le secteur de la nuit ? Pour Unia, la réponse est claire : "Oui, il y a une véritable évolution. Un travail a été fait il y a quelques années à l’initiative des ministres de l’égalité des chances. Il y a eu une prise de conscience, le secteur s’est régulé. C’est sans doute grâce à cela qu’il y a moins de signalements" explique Patrick Charlier.

Il y a peut-être aussi un certain fatalisme

"Cela dit, il y a peut-être aussi un certain fatalisme. Il se peut que les gens ne se rendent même plus dans ces établissements où ils sentent qu’ils ne sont pas les bienvenus. Cela pourrait aussi expliquer la baisse du nombre de signalements".

De son côté, Nawal Ben Hamou (PS), la secrétaire d’État bruxelloise à l’Egalité des Chances, a réagi à l’incident du 1er juin. "Il est intolérable qu’à Bruxelles, une personne se voit refuser l’entrée d’un bar ou d’une boîte de nuit à cause de sa couleur de peau ou de son origine".

Elle précise que le nouveau plan bruxellois de lutte contre le racisme compte bien s’attaquer à ce phénomène, en prévoyant notamment une meilleure formation des agents de sécurité.

Sur le même sujet : reportage radio du 06/06/2023

Discrimination en discothèque

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