Justice

Un an après la vague de piqûres sauvages : les enquêtes de police n’ont trouvé aucune injection de substance

Temps de lecture
Par Melanie Joris du service judiciaire

Il y a un an, les témoignages se multiplient. Des personnes, généralement jeunes, se plaignent d’avoir été piquées lors d’un match de foot, d’un festival ou encore lors de la Pride à Bruxelles. Elles évoquent une perte de contrôle et des symptômes inhabituels. Un an après, les enquêtes de police n’ont trouvé aucune injection de substance chimique. On était face à un phénomène de peur collective.

"Chaque plainte a été prise excessivement au sérieux et a donné lieu à une enquête", nous précise Régis Kalut, porte-parole de la police fédérale. Le policier ajoute : "Les analyses toxicologiques ont été effectuées et aucune d’entre elles n’a permis de révéler l’injection d’une substance autre que ce que la personne avait sciemment consommé".

Par ailleurs, aucun fait connexe à ces piqûres présumées n’a pu être identifié. Régis Kalut : "Les enquêtes n’ont jamais permis de trouver un lien avec d’autres délits que ce soit un vol, des attouchements ou autres".

Alors comment expliquer ces nombreuses plaintes ?

Plusieurs éléments peuvent expliquer cette flambée des plaintes à l’été 2022. D’abord, le contexte. De nombreux jeunes participent pour la première fois à des événements de grande ampleur après les années de confinement et de restrictions. Une certaine angoisse sociale a pu se développer et la confrontation avec ces grands événements a pu provoquer certaines réactions de peur.

Ensuite, le mouvement "Balance ton bar" est également passé par là. Sont apparus dans le débat public des témoignages de personnes qui ont été droguées à leur insu dans des bars et des lieux festifs.

Conséquence, certaines victimes ont pu tomber dans un mécanisme psychologique bien connu : l’erreur d’attribution causale. Michaël Hogge, chargé de projet épidémiologique chez Eurotox, l’observatoire socio-épidémiologique alcool-drogues en Wallonie et à Bruxelles, décrypte ce mécanisme : "Il y a un phénomène objectif : une personne ne se sent pas bien, mais elle attribue ça à une supposition de soumission chimique par injection parce qu’on en a parlé dans la presse, parce qu’il y a parfois eu sur les lieux de fêtes des messages qui avaient tendance à cristalliser les peurs donc tout ça a favorisé ces erreurs d’attribution causale".

Michaël Hogge apporte un second élément. Ce qui se cache derrière la peur d’avoir été piqué, c’est la peur d’avoir été drogué. Or, selon ce spécialiste, administrer un produit par seringue est loin d’être une méthode courante. "Piquer, c’est un acte invasif. Et généralement, dans un environnement festif, il y a un contrôle social. Par ailleurs, tous les produits ne peuvent pas être injectés par voie intramusculaire avec un effet suffisant pour soumettre chimiquement".

Comment se développe ce type de peur ?

Pour résumer : la police n’a rien trouvé. Les experts estiment que ce n’est pas une méthode adéquate pour soumettre quelqu’un chimiquement. Mais alors pourquoi cette peur s’est-elle répandue si vite et si largement ?

La réponse est à aller chercher du côté de nos références communes ou ce qu’on appelle aussi les légendes urbaines. Aurore Van de Winkel, docteur en information et communication, situe en 1819 l’apparition des premières rumeurs autour d’une piqûre : "On retrouve des histoires d’hommes qui piquaient des jeunes femmes dans l’espace public au niveau de leurs fesses, de leurs cuisses, de leurs seins. Cela correspond au début de l’émancipation des femmes".

Et comme toute rumeur, celle-ci rebondit et réapparaît au fil des ans. Aurore Van de Winkel : "Dans les années 60, on a ces femmes qui se feraient piquer le doigt en essayant des gants ou des chaussons. On raconte que c’est pour les enlever, qu’elles servent d’esclaves sexuelles dans des pays exotiques. Ensuite, dans les années 90, on a des rumeurs d’agresseurs qui utilisent des aiguilles qui seraient infectées au virus du VIH et qui infecteraient par vengeance des victimes innocentes".

Aurore Van de Winkel explique que ces rumeurs sont coriaces : "Ce sont des histoires que le cerveau garde en mémoire, qui vont resurgir dans les conversations et qui donnent une impression de déjà entendu lorsqu’on entend la relation d’un potentiel fait lié à une aiguille dans l’espace public". Et c’est l’effet boule de neige : "si je l’ai déjà entendu quelque part, c’est que c’est vrai. Si c’est vrai, je peux aussi en être victime".

Oui, mais... Et les traces de piqûre alors ?

Lorsque les témoignages sont apparus, des photos ont également été publiées. On y voyait ce qui s’apparente à une trace de piqûre. Deux hypothèses sont possibles. L’une évoque des piqûres de moustique. Pas totalement incongru en été et lors d’événements en extérieur.

L’autre évoque ce qu’on appelle les "copycats". Aurore Van de Winkel, docteure en information et communication : "Un scénario court dans l’espace public et crée une certaine panique dans la population. Et bien, il y a des personnes qui vont s’emparer de ce récit et en faire des crimes réels que ce soit pour s’amuser ou pour provoquer la peur. Ce sont les copycats".

C’est pour cette raison que la police fédérale a encouragé toutes les personnes présumées victimes à porter plainte. Cela a permis de mener des enquêtes et de faire toute la lumière sur ce phénomène. On répétera, pour ceux qui ne lisent que la première et dernière ligne d’un article, que la police n’a pu détecter aucune trace de substance illicite chez les personnes piquées. Cela dit, nul ne minimise l’impact psychologique qu’a pu avoir une telle piqûre chez les victimes.

Inscrivez-vous aux newsletters de la RTBF

Info, sport, émissions, cinéma... Découvrez l'offre complète des newsletters de nos thématiques et restez informés de nos contenus

Articles recommandés pour vous