Belgique

Insécurité, épuisement : les médecins généralistes s’insurgent contre le nouveau système de garde nocturne

1733 : Grogne des médecins généralistes

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Par Lavinia Rotili & Alexis Gonzales

"On est appelé chez des patients qui demandent des prescriptions qui ne sont pas urgentes, mais il est aussi arrivé qu’un patient enferme le médecin chez lui s’il ne lui donne pas l’ordonnance demandée", témoigne Madeline Votron, médecin généraliste dans la région dans le Tournaisis.

© Getty Images

Elle fait partie des généralistes qui, ce 7 juin, vont participer à la manifestation organisée à Tournai par plusieurs médecins de Wallonie picarde. Et ils ne seront pas les seuls à montrer leur mécontentement : le même jour, l’Association Belge des Syndicats Médicaux (ABSyM) a appelé à un arrêt de travail en Wallonie entre 10 heures et 11 heures.

Ces actions visent à dénoncer le manque d’avancées dans le dossier du 1733, le numéro destiné à l’aide médicale non urgente en Wallonie, dont le fonctionnement a été modifié par deux circulaires du SPF Santé publique, en application depuis le 1er mars.

Avant la réforme, le principe de la garde était simple : le patient appelait le 1733, ce service financé par le département de la santé mais dont les opérateurs sont recrutés par le ministère de l’Intérieur. Le 1733 établissait si le problème médical relevait de la médecine générale ou d'une urgence, auquel cas, vous étiez renvoyé vers le 112. Le 1733 menait ce travail y compris pour ce qu’on appelle le "tri en nuit noire", effectué entre 23 heures et 8 heures du matin.

Les généralistes, quant à eux, se déplaçaient durant la nuit uniquement dans quatre cas spécifiques : pour des douleurs intolérables, pour les certificats de décès, ainsi que les problèmes touchant des résidents de maisons de repos et les patients en soins palliatifs.

Aujourd'hui, il n'y a plus d'opérateur pour faire le tri

Depuis l’entrée en vigueur des nouvelles circulaires, ce n’est plus le cas. Dans cette tranche horaire nocturne (entre 23h et 8h), plus de tri du 1733, les appels sont directement transférés aux médecins de garde. Cela nécessite la présence d’une personne supplémentaire pour prendre les appels dans chaque poste médical de garde, et surtout, provoque une surcharge de travail des médecins, déjà épuisés par ailleurs. Concrètement, les médecins sont donc interpellés et amenés à se déplacer plus souvent.

"À ce jour, nous devons répondre pendant la nuit noire (de 23 heures à 8 heures) à toute demande des citoyens, même les plus farfelues. Nous assurons donc le tri qui devait se réaliser par le 1733, et ce, pour un honoraire de disponibilité de 7,14€ de l’heure", rappelle le Dr Luc Herry, président de l’Absym Wallonie.

Une charge supplémentaire pour les généralistes

Sur le terrain, cette médecin du Tournaisis confirme : le tri du 1733 pendant la nuit était une réelle plus-value. "Il laissait aux médecins un temps de repos et permettait de faire le tri. Maintenant, un patient qui a des difficultés à s’endormir peut aussi nous appeler. C’est d’ailleurs un motif assez fréquent. Ce sont des cas pour lesquels on ne va pas pouvoir faire grand-chose… ", explique-t-elle.

Notre rôle est d’assurer la continuité des soins

Pour elle, le tri effectué auparavant par le 1733 était aussi un garde-fou permettant de garder de bonnes conditions de travail. "Notre rôle est d’assurer la continuité des soins et on a envie que les patients soient soignés dans des bonnes conditions. Or si on est réveillé plusieurs fois au milieu de la nuit pour des motifs non urgents, cela veut dire qu’on enchaîne une garde de 14 heures puis une journée de travail normal. La gestion, la fatigue, l’énervement deviennent alors beaucoup plus compliqués à gérer." 

Des problèmes d’insécurité assez récurrents

À cela, s’ajoutent également des conditions d’insécurité : "Il y a également une anxiété de devoir se déplacer chez le patient. Il y a des gens qui ont tendance à beaucoup appeler la garde. Quand on en fait beaucoup, on les connaît. Entre collègues, on se prévient pour certains patients pour lesquels il vaut mieux privilégier le contact téléphonique, sans aller sur place, parce qu’il peut y avoir de l’insécurité. Certains peuvent être agressifs si on ne donne pas l’ordonnance demandé. Ils en arrivent même à enfermer le médecin pour l’obtenir."

D’emblée, il m’a ouvert en caleçon

Le Dr Madeline Votron ne s’en cache pas : si elle vit ces déplacements chez les patients avec appréhension, c'est qu’elle a déjà vécu des mauvaises expériences. "J’ai déjà été chez un patient qui était vraiment très saoul et qui a commencé à devenir violent et un peu taquin. Mais moi, je ne savais pas trop comment réagir. C’était une de mes premières gardes dans la région. Et puis, d’emblée, il m’a ouvert en caleçon. Je ne savais pas quoi faire et c’est toujours étrange de partir. C’était vraiment compliqué de lui dire que j’allais quitter et que j’avais essayé de répondre à ses attentes, il s’énervait parce qu’il était sous influence de l’alcool."

En toile de fond, des craintes pour le bien-être au travail et la pénurie de médecins

En toile de fond, ce nouveau système de garde souligne une problématique de bien-être des médecins, avec la crainte qu’une dégradation des conditions de travail ne fasse augmenter les pénuries.

"On a envie que les médecins généralistes soient pris en considération dans les décisions. Ça a été une décision qui n’a pas été concertée. Si on retourne en arrière de dix ans, alors qu'on avait gagné un peu de sécurité, de confort de vie, on arrive dans une pénurie de médecins généralistes", ajoute Madeline Votron. Et on s’inquiète de voir que les médecins généralistes épuisés partent vers d’autres branches de la médecine."

Le cabinet Vandenbroucke promet des solutions

Contacté par la RTBF, le cabinet du ministre fédéral Frank Vandenbroucke (Vooruit) affirme que le déplacement des médecins pendant la nuit dans des cas particuliers (patients en maisons de retraite, patients grabataires, certificats de décès et patients en soins palliatifs) "n'était pas une directive officielle, et n’est pas en adéquation avec les recommandations du Manuel belge de Régulation médicale, ni avec ce que la première ligne doit offrir aux citoyens."

Conscient des efforts

"Le 1733 suivra maintenant les directives officielles, ce qui implique que certains patients avec des niveaux d’urgence suffisants pourront également être vus pendant la nuit, même en ne rentrant pas dans les quatre catégories précitées", ajoute-t-il.

Le ministre a également précisé être conscient des efforts que cela demande et que des solutions ont été élaborées avec les médecins et ensuite confirmées en mars: un budget a été débloqué à cet égard. "J’ai aussi passé des accords avec ma collègue de l’Intérieur. Les discussions sur les solutions structurelles à long terme se poursuivent, et les médecins généralistes y participent", rappelle le ministre.

Le cabinet tient à souligner que les ressources allouées sont en augmentation (on est passé de 23 millions en 2019 à 32 millions en 2021 et 43,7 millions en 2022) et que des "investissements supplémentaires de l’ordre de 20 millions seront mis en place d’ici 2025".

Le ministère de l’Intérieur, en charge du recrutement des opérateurs du 1733 n’a pas souhaité commenter.

Le médecins généralistes à l arrêt le 7/6

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