Les Grenades

Avortement en Belgique : entre blocages et mobilisations citoyennes

© Tous droits réservés

Temps de lecture
Par Anaïs Du Champs pour Les Grenades

La France devient le premier pays au monde à inscrire la "liberté garantie" à l’interruption volontaire de grossesse (IVG) dans sa Constitution.

Une actualité qui pose la question de cette possibilité dans notre pays, le droit à l’avortement se trouve toujours au centre d’un débat entre préservation des acquis et besoins d’évolution. La Belgique fait notamment face à des entraves de certains partis comme le CD&V, le Vlaams Belang ou encore la N-VA.

La société civile, dont la Plateforme Abortion Right, se mobilise d’ailleurs en vue des prochaines élections afin d’améliorer l’accès à l’IVG en Belgique

© AFP or licensors

Clivages sur l’avortement au sein de la coalition Vivaldi

Ce mardi 20 février, la commission justice de la Chambre a repris le débat sur la proposition de loi relative à l’avortement sans aboutir à un vote. Deux textes étaient à l’ordre du jour, l’un d’Ecolo-Groen et l’autre du PTB. Le député Koen Geen (CD&V), s’opposant aux propositions, a quitté la séance, entrainant un retard dans le processus.

►►► Retrouvez en cliquant ici tous les articles des Grenades, le média de la RTBF qui dégoupille l’actualité d’un point de vue féministe

Malgré les appels à la réforme, le blocage persiste, principalement en raison de l’opposition de trois partis flamands : le CD&V, la N-VA et le Vlaams Belang. Plusieurs partis, tels que DéFi ou le PTB, pressent pour une action rapide craignant qu’après les élections, il n’y ait plus de majorité pour soutenir une révision de la loi.

Le 25 janvier, en séance plénière à la Chambre, une situation identique s’est produite, les débats concernant la modification de la loi sur l’avortement perdurent. Bien que la majorité des partis soutiennent un assouplissement de la législation, le CD&V se positionne en tant qu’exception, créant une division au sein de la coalition Vivaldi. Cela fait bientôt dix ans que des propositions de loi visant à assouplir la loi sur l’avortement circulent.

Il y a deux points sur lesquels le débat stagne toujours : la question de l’allongement du délai pour avorter de 12 à 18 semaines et également la réduction ou suppression du délai de réflexion obligatoire de 6 jours imposer aux femmes qui souhaitent avorter.

Il y a cinq ans, pendant la période électorale, le dossier avait été bloqué par le CD&V, la N-VA et le Vlaams Belang grâce à une technique de flibuste parlementaire qui consiste à renvoyer systématiquement le texte au Conseil d’État. Le CD&V, étant associé aux négociations gouvernementales de la Vivaldi, a réussi à faire de cette question un enjeu gouvernemental.

Dans l’accord du gouvernement Vivaldi, le CD&V a fait inscrire une phrase demandant qu’une étude et une évaluation par des expert·es indépendant·es soient menées sur la question. Et par la suite avant qu’un vote ne puisse avoir lieu, un consensus doit se dégager entre les partis du gouvernement.

Ce rapport de 300 pages, réalisé par plus de 30 expert·es de tout horizon, supervisé par toutes les facultés de médecine du pays et rendu publique il y a plus d’un an, est unanime. D’après ce rapport, il est nécessaire de modifier la loi de 2018 en allongeant le délai pour avorter à 18 semaines, en supprimant le délai de réflexion et en améliorant les conditions actuelles dans lesquelles l’IVG doit se pratiquer.

Actuellement, alors que la pression pour un assouplissement de la loi s’accroit et que le rapport des expert·es le soutient, le CD&V propose plutôt un compromis. Les demandes du parti chrétien-démocrate sont de réduire le délai de réflexion à deux jours et d’étendre le délai d’avortement à 14 semaines au lieu de 18 semaines.

Cependant, ces propositions sont jugées insuffisantes par d’autres partis de la majorité ainsi que par plusieurs associations, notamment la Plateforme Abortion Right, qui se réfèrent au rapport favorable des expert·es. Justine Bolssens, juriste et coordinatrice au sein de la plateforme, dénonce le positionnement du CD&V.

© BELGA - THIERRY ROGE

Les revendications de la plateforme Abortion Right

Mise en place en 2011, la plateforme Abortion Right est une organisation dédiée à la défense du droit à l’avortement en Belgique. Fondée dans une perspective de vigilance pour le droit à l’IVG, elle regroupe différentes associations francophones et néerlandophones travaillant ensemble pour faire remonter les constats du terrain.

Par la suite, ces observations nourrissent le travail politique. En s’engageant à sensibiliser, informer et plaider, la plateforme Abortion Right œuvre pour défendre la liberté de choix et maintenir ainsi que renforcer les droits des femmes en matière d’avortement en Belgique. Justine Bolssens précise la position de l’organisation : "Notre but est d’écouter les besoins des femmes et d’y répondre. Nous avons une vision centrée sur l’autonomie de choix, tout en étant en accord avec la réalité scientifique. On travaille avec les femmes mais aussi avec la science."

Face aux multiples sorties médiatiques et politiques au sujet de l’avortement ces dernières années, la plateforme dénonce l’instrumentalisation politique du dossier de l’IVG. En septembre dernier, la plateforme Abortion Right a publié son mémorandum en vue des élections belges de 2024, mettant en avant ses principales revendications pour le droit à l’avortement en Belgique. Dans ce document, la plateforme souligne la nécessité de moderniser la législature actuelle, qui dépénalise partiellement l’interruption volontaire de grossesse. Leur revendication principale est que le gouvernement doit mettre en œuvre les recommandations rendues par le comité d’expert·es dans leur rapport.

►►► Pour recevoir les informations des Grenades via notre newsletter, n’hésitez pas à vous inscrire ici

Leurs propositions incluent, de ce fait, l’allongement du délai légal pour avorter à 18 semaines, la suppression du délai de réflexion obligatoire de six jours imposés aux femmes ainsi que l’amélioration des conditions dans lesquelles l’IVG doit se pratiquer.

Leurs constats de fond sur le terrain leur ont permis de construire un mémorandum vaste et complet qui met en avant leurs revendications sur le plan juridique, sur le plan de l’accès à l’information, de la formation des professionnel·les ainsi que sur le plan de l’organisation et de l’accessibilité des services.

Pourquoi passer de 12 à 18 semaines ?

En 2019, les débats politiques sur l’avortement ont été alimentés par des préjugés sur les femmes dépassant le délai légal de 12 semaines. De nombreuses fausses affirmations ont circulé, suggérant que ces femmes prendraient la situation à la légère ou négligeraient leur contraception.

Justine Bolssens explique : "Souvent, les femmes qui dépassent le délai des 12 semaines ne le font pas par hésitation ou par négligence mais à la suite de déni de grossesse, de violences conjugales surgissant pendant la grossesse, d’erreurs ou d’imprécisions du diagnostic de grossesse ou encore de changements hormonaux. La liste est longue."

Chaque année, en Belgique, des femmes sont confrontées à un refus à cause du délai et doivent partir avorter ailleurs, aux Pays-Bas par exemple où l’IVG est légale jusqu’à la 22ième semaine. Les coûts du voyage et de l’intervention s’élèvent aux alentours de 1000 euros. La plateforme Abortion Right a recueilli le témoignage de nombreuses femmes n’ayant pas les moyens financiers leur permettant d’avorter à l’étranger et qui sont donc forcées de mener à terme une grossesse non désirée et d’accoucher contre leur gré.

La loi relative à l’avortement en Belgique, tel qu’elle l’est aujourd’hui, continue de stigmatiser l’avortement et renforcer les inégalités, souligne donc la plateforme Abortion Right qui a réalisé une étude en 2021 intitulé "12 semaines, et après ?" qui vise à sensibiliser à cette thématique.

Pour la plateforme et pour toutes les associations qui en font partie, c’est très important que toutes les femmes aient accès à l’IVG et ce indépendamment de leur niveau de vie. Justine Bolssens souligne que "tout l’enjeu derrière l’importance d’allonger ce délai est d’éviter que des femmes doivent traverser les frontières pour avorter. Mais aussi essayer de correspondre mieux au corps, aux besoins et au vécu des femmes de notre société qui reste encore patriarcale sur de nombreux points."

Pourquoi supprimer le délai de réflexion ?

Selon le rapport des expert·es, concernant le délai de réflexion de six jours imposés aux femmes désirant avorter, il est suggéré de le supprimer complètement ou d’instaurer une condition qui interdirait la pratique de l’IVG dès le premier rendez-vous, sans toutefois imposer un délai de réflexion. Justine Bolssens précise que la plateforme Abortion Right et ses associations sont pour la suppression de ce délai car d’après elle, "En leur imposant un délai de réflexion on stigmatise et infantilise énormément les femmes. La plupart des femmes qui arrivent pour demander une IVG y ont déjà réfléchi. Si elles ont besoin de plus de temps, elles le prendront par elles-mêmes avec l’aide de professionnel·les du terrain si nécessaire."

Justine Bolssens pointe l’influence politique actuelle sur le droit à l’avortement et exprime sa préoccupation quant à un possible virage conservateur du gouvernement après les élections 2024, rendant ainsi plus difficile toute progression de ce droit fondamental pour les femmes. "Je crois que la société civile, les femmes, toutes les associations féministes et luttant pour le droit à l’avortement se mobiliseraient énormément s’il y avait un plus gros risque. On est loin de cas comme la Pologne, la Hongrie ou encore les États-Unis mais il faut rester vigilant·es", conclut Justine Bolssens.

Le focus : la France inscrit le droit à l'IVG dans sa constitution

Le focus: la France inscrit le droit à l'IVG dans sa constitution

Pour voir ce contenu, connectez-vous gratuitement

Avortement : les médecins qui le pratiquent sont vieillissants - Archives JT

Avortement/ les médecins qui le pratiquent sont vieillissants

Pour voir ce contenu, connectez-vous gratuitement

Cet article a été écrit lors d’un stage au sein de la rédaction des Grenades.

Si vous souhaitez contacter l’équipe des Grenades, vous pouvez envoyer un mail à lesgrenades@rtbf.be.

Les Grenades-RTBF est un projet soutenu par la Fédération Wallonie-Bruxelles qui propose des contenus d’actualité sous un prisme genre et féministe. Le projet a pour ambition de donner plus de voix aux femmes, sous-représentées dans les médias.

Inscrivez-vous à la newsletter Les Grenades

Recevez chaque mois un condensé d'infos qui dégoupillent l'actualité d'un point de vue féministe.

Sur le même sujet

Articles recommandés pour vous