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Guerre Israël – Gaza : les femmes en première ligne, comment réagissent les féministes en Belgique ?

Manifestation à Bruxelles le 17 décembre pour un cessez-le-feu immédiat et permanent.

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Par Camille Wernaers pour Les Grenades

Attention, cet article parle de violences sexuelles et de féminicides.

Il y a deux mois, le 7 octobre, le groupe islamiste Hamas entrait sur le territoire israélien pour commettre une attaque terroriste. Selon les chiffres du gouvernement israélien, 1200 personnes, en majorité des civil·es, ont été tué·es ce jour-là et 247 personnes ont été enlevées, dont des bébés, des enfants, des femmes et des personnes âgées.

110 d’entre elles sont toujours détenues par le Hamas, après plusieurs libérations qui ont eu lieu à la faveur d’une trêve fin novembre.

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Violences sexuelles et féminicides

Récemment, le gouvernement israélien a révélé de nombreux témoignages indirects indiquant que des crimes sexuels auraient été utilisés comme arme de guerre de manière systématique et organisée par le Hamas le 7 octobre dernier.

Esther (prénom d’emprunt), qui participait au festival Tribe of Nova, a raconté ce qu’elle a subi au Parisien : "C’était si douloureux que j’ai perdu connaissance, ils ont arrêté lorsqu’ils m’ont crue morte", explique-t-elle. Elle souffre aujourd’hui d’une paralysie "qui pourrait ne jamais disparaître".

"Plusieurs personnes ayant participé à la collecte et à l’identification des corps des personnes tuées lors de l’attaque nous ont dit avoir vu de nombreux signes d’agression sexuelle, notamment des bassins brisés, des ecchymoses, des coupures […] Les vidéos de femmes nues et ensanglantées filmées par le Hamas le jour de l’attaque, ainsi que les photographies de corps prises sur les sites après l’attaque, suggèrent que les femmes ont été la cible sexuelle de leurs agresseurs. Peu de victimes auraient survécu pour raconter leur histoire", écrit la BBC qui a enquêté sur le sujet.

A BFMTV, Haim Otmazgin, l’un de premiers secouristes à être intervenu sur les lieux des attaques du Hamas, explique qu’il dispose de 3000 photographies documentant des viols et féminicides : "J’étais là, j’ai vu ça avec mes yeux, j’ai récupéré ces corps avec mes mains, j’ai pris ces photos avec mon téléphone".

Nous analysons les guerres sous l’angle du genre : ce sont des violences patriarcales, menées par des hommes

Une pétition a par ailleurs été publiée par The Women’s Voices le 8 novembre pour demander une reconnaissance "des féminicides commis par le Hamas". "De nombreux civils sont morts, mais les femmes n’ont pas été tuées de la même façon que les autres", peut-on lire dans ce texte.

L’ONU a affirmé prendre ces accusations très au sérieux et a demandé à pouvoir enquêter, sans recevoir de réponse du gouvernement israélien. Le Hamas a quant à lui qualifié ces accusations de "mensonges infondés".

Bombardements intensifs

En réaction à l’attaque du 7 octobre, les autorités israéliennes ont déclaré la guerre au Hamas et ont mené une offensive intensive avec de nombreux raids aériens sur la bande de Gaza, où 85% des 2,4 millions d’habitant·es ont été déplacé·es et des quartiers entiers détruits par les bombardements. Les Palestinien·nes vivent "l’enfer sur terre", s’est insurgé le directeur de l’agence de l’ONU pour les réfugiés palestiniens (Unrwa), Philippe Lazzarini.

Cette offensive à Gaza a coûté la vie à plus de 18.800 personnes, à 70% des femmes et des enfants, selon le ministère de la Santé du Hamas. Après avoir fui leurs maisons les bombardements, des dizaines de milliers de Palestinien·nes s’abritent désormais plus au sud, dans un gigantesque camp avec des centaines de tentes bricolées à l’aide de bouts de bois ou encore de draps, où la situation humanitaire et sanitaire est catastrophique.

"Deux mères tuées toutes les heures"

Le 22 novembre dernier, le Conseil de sécurité de l’ONU examinait l’impact disproportionné du conflit sur les femmes et les enfants de Gaza. "Cela fait deux mères tuées toutes les heures et sept femmes toutes les deux heures", a précisé Sima Sami Bahous, directrice exécutive d’ONU-Femmes. Chaque jour, 180 femmes accouchent à Gaza sans eau, sans analgésiques, sans anesthésie pour les césariennes, sans électricité pour les incubateurs et sans fournitures médicales, a-t-elle également rapporté.

Cette surreprésentation des femmes parmi les victimes du conflit n’étonne pas les féministes auxquelles nous avons pu parler. "En tant que féministes, nous analysons les guerres sous l’angle du genre : ce sont des violences patriarcales, menées par des hommes", explique aux Grenades Sarah Swaydan, coordinatrice au sein de l’association Arab Women’s Solidarity Association (AWSA).

"C’est un massacre de la population civile"

"Nous suivons la situation sur place depuis des années, la première activité que l’association a menée, avant même d’être enregistrée en tant qu’asbl, a consisté en une soirée de soutien avec les femmes palestiniennes, en 2003. Ce conflit est historique, il ne date pas du 7 octobre, il date de 75 ans. Il s’agit de la colonisation d’un État sur un autre et d’une situation d’apartheid, avec une ségrégation des Palestinien·nes qui sont par exemple limité·es dans leurs déplacements au quotidien", continue-t-elle.

Sarah Swaydan tient à souligner : "Je n’ai pas de mots pour décrire l’attaque du Hamas le 7 octobre. C’est vraiment criminel et odieux. Il n’est pas question de nier les atrocités qui se sont produites ce jour-là, ni le fait que des femmes et des enfants ont été pris·es en otage et utilisé·es comme des trophées par le Hamas, notamment dans les négociations autour d'un cessez-le-feu. Néanmoins, la rhétorique du droit à se défendre est affreuse face au massacre de la population civile. Il faut prendre en compte le rapport de force, qui n’est pas le même, avec une puissance colonisatrice soutenue par les États-Unis. On ne peut pas se défendre sans respecter le droit international, en bombardant à tout va, en privant des civil·es d’eau et d’électricité et en tuant des journalistes." Le Committee to Protect Journalists a décompté 81 journalistes tué·es cette année dans le monde, dont 60 rien qu’en Palestine.

"Il faut visibiliser les féministes qui luttent à Gaza et tentent d’y survivre, comme Zainab El Ghonaimi, directrice du Centre for Research, Legal Consultation and Protection for Women in Gaza (CWLRC)", indique Sarah Swaydan.

Des féministes gazaouies qui ont critiqué le Hamas dans le passé. Un article du site Feminist Dissent, publié en 2021, posait cette question : "Que faire lorsque la libération de votre patrie est entre les mains d’un groupe qui s’oppose à la libération des femmes ?"

On y apprend que le CWLRC gère le seul refuge pour les femmes fuyant les violences domestiques indépendant de celui ouvert par le Hamas qui, selon Zainab El Ghonaimi, est géré comme une prison avec des policiers à l’entrée qui contrôlent les mouvements des femmes. "Les jeunes filles qui fuient un mariage forcé sont susceptibles de voir leur mariage arrangé par des responsables du Hamas", dénonçait-elle dans l’article.

Il faut prendre en compte le rapport de force, qui n’est pas le même, avec une puissance colonisatrice soutenue par les États-Unis

De son côté, Ninon Berman se décrit comme "une militante féministe juive qui s’intéresse à la convergence des luttes et veut y inclure l’antiracisme." Pour elle, le 7 octobre a été "une désillusion, comme pour beaucoup de féministes juives à travers le monde. Il y a un antisémitisme qui reste présent à gauche et que j’ai pu rencontrer ici dans un collectif féministe que j’ai depuis quitté. Au sein du milieu militant, on dit qu’il faut écouter les personnes concernées mais quand tu es juive, il est très difficile d’être entendue. C’est historique : il y a eu une association entre personnes juives et le capital, porté par le socialisme au 19e siècle. Ce n’est pas encore une partie de l’histoire que nous avons pu regarder en face en Belgique, et pas non plus dans le milieu militant."

"#MeToo, ce n’est pas pour les femmes juives"

Elle poursuit : "On dirait que le mouvement #MeToo, c’est pour toutes les femmes, sauf pour les femmes juives ou israéliennes. Le 25 novembre, en France, le collectif Nous vivrons, formé après le 7 octobre pour porter la voix des victimes israéliennes, a été tenu à l’écart de la manifestation contre les violences faites aux femmes. On a refusé à des femmes de manifester, un 25 novembre. C’est comme dans les cas des violences masculines, il y a une inversion entre la personne qui est la victime et celle qui est le bourreau. Les femmes juives ne sont pas responsables de la situation. Je précise également que de nombreuses militantes féministes israéliennes étaient dans la rue des mois avant le 7 octobre pour dénoncer le gouvernement et la politique de Netanyahu. Il y a eu des violences policières pour réprimer ces manifestations. Toute la population israélienne n’est pas d’accord avec ce qu’il se passe. Parler des viols et des féminicides commis sur les femmes israéliennes, les dénoncer, ce n’est pas nier ce que subissent les femmes palestiniennes bombardées."

Elle lance dans un souffle : "Je ne comprends d’ailleurs pas comment le gouvernement israélien peut commettre ces violences après ce qu’a vécu par la communauté juive." Une manifestation rassemblant des centaines d’Israélien·nes a eu lieu à Tel Aviv mi-novembre "contre la guerre dans la bande de Gaza". Après la mort de trois otages tués par l’armée israélienne, les voix continuent de se faire entendre pour réclamer la fin des combats.

Être féministe, c’est être solidaire de ce qu’il se passe en Palestine, parce qu’il s’agit d’une situation d’oppression

En Belgique, lors de la manifestation du 26 novembre contre les violences faites aux femmes, organisée par la plateforme Mirabal, c’est le bloc de solidarité avec la Palestine a été accusé de "se mélanger" au cortège.

Dans une carte blanche publiée le 4 décembre, la plateforme, composée d’une centaine d’associations féministes et des droits humains, réagit : "Il est aussi nécessaire de réaffirmer que les combats féministes s’étendent au-delà des frontières et que notre solidarité se doit d’inclure les femmes du monde entier. En temps de conflit armé, les violences patriarcales, notamment les violences sexuelles, sont des armes de guerre. Nous exprimons notre soutien aux femmes victimes de violences, indifféremment de leur religion ou origine. Ainsi, la présence de militant·e·s en soutien de la Palestine, au côté des militant·e·s féministes, n’est ni un 'incident' ni une 'intrusion' dans la marche de dimanche mais l’incarnation d’une véritable convergence dans nos luttes. Le combat pour l’émancipation des femmes n’est entier que dans la lutte pour l’émancipation de tous les peuples opprimés."

"Si je vais porter plainte, je peux subir de l’antisémitisme"

Selon Ninon Berman, "Il y a une concurrence victimaire assez malsaine en ce moment dans le milieu féministe, c’est à qui subira le plus de pression, à qui subira le plus de violences. Il est difficile de faire comprendre que même si je suis blanche, et donc privilégiée, ce que je reconnais, si je me fais violer et que je vais porter plainte, je peux subir de l’antisémitisme, qui est un racisme. Ce n’est pas ma couleur de peau qui me protègera."

L’antisémitisme est en augmentation en Belgique et dans le monde. Depuis le 7 octobre, Unia, le service public indépendant de lutte contre la discrimination, a enregistré 76 signalements en lien avec le conflit israélo-palestinien. La majorité des signalements concernent des discours et propos de haine. Six dossiers concernent un crime de haine (faits de violence, graffitis, dégradations…). A titre de comparaison, Unia a reçu, en 2022, 4 à 5 signalements par mois relevant de l’antisémitisme. Unia traite également un dossier de discrimination à l’encontre d’une personne d’origine maghrébine qui a été refusée pour un emploi "compte tenu du contexte actuel ".

C’est comme dans les cas des violences masculines, il y a une inversion entre la personne qui est la victime et celle qui est le bourreau. Les femmes juives ne sont pas responsables de la situation

Ninon Berman affirme ne pas se reconnaitre "dans les manifestations pro-palestiniennes où je peux entendre des slogans antisémites, mais je ne me reconnais pas non plus dans les manifestations en solidarité avec Israël car des personnalités d’extrême droite sont présentes, sans que les organisateurs ne les excluent. Pour l’instant, l’extrême droite vise surtout la population musulmane, mais ils n’hésiteront pas à cibler à nouveau les personnes juives, il ne faut pas l’oublier."

"Il faut créer du lien entre nous"

Face à cette situation, un nouveau collectif a été créé : le collectif de Solidarité Judéo-Arabe. "Si nous voulons nous en sortir, nous devons arrêter de nous déshumaniser. Il faut créer du lien entre nous, nous devons nous parler, être dans le soin, pour aider le monde à aller un peu mieux. Ce n’est malheureusement pas très audible comme discours : on nous critique, on nous demande des comptes. Un collectif féministe nous a même dit que ce n’était pas le moment !", précise Ninon Berman.

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Une démarche qui se rapproche de celle du mouvement féministe français Les Guerrières de la Paix, fondé en mars 2022 sous l’impulsion de la réalisatrice et militante Hanna Assouline autour de femmes musulmanes et juives. Elles se sont rassemblées en réaction aux fortes tensions intercommunautaires liées aux répercussions du conflit israélo-palestinien.

"Nous avons choisi de nous unir pour porter une autre voi(e)x, celle du refus commun de l’assignation identitaire et celle du courage et de l’acceptation de l’Autre. Notre mouvement rassemble aujourd’hui des femmes de toutes cultures, croyances, origines pour faire front commun face à toutes les haines qui circulent dans notre société, notamment le sexisme, le racisme, l’antisémitisme, la haine des musulmans, la haine anti-LGBT et tous les ostracismes. À une époque où les luttes antiracistes sont divisées, opposées, mises en concurrence, où les entre-soi confortent la solitude haineuse et empêchent la connaissance et la compréhension de l’Autre, les Guerrières de la Paix affirment ensemble que tous ces combats sont les leurs", écrivent-elles dans leur manifeste. Le 18 octobre, elles publiaient une tribune dans Le Monde, appelant à soutenir les militant·es israélien·nes et palestinien·nes qui luttent pour trouver une issue pacifique au conflit.

C’est aussi la position d’AWSA. "Être féministe, c’est être solidaire de ce qu’il se passe en Palestine, parce qu’il s’agit d’une situation d’oppression, mais tous les crimes contre des êtres humains sont inacceptables et nous condamnons tous les actes racistes, dont les actes antisémites. Nous nous sentons parfois seules, surtout en tant qu’association rassemblant des femmes migrantes, avec un focus sur les femmes du monde arabe, même si de nombreuses associations féministes ont réagi et appelé à un cessez-le-feu, notamment Vie Féminine et Soralia. En tant que citoyen·nes, nous avons le pouvoir de faire pression en Belgique pour l’arrêt des bombardements", souligne Sarah Swaydan.

Une manifestation pour exiger un cessez-le-feu immédiat et permanent a été organisée à Bruxelles ce dimanche 17 décembre, rassemblant 27.000 personnes.

Israël fait face à une pression croissante de ses alliés dans sa guerre contre le Hamas. Le président américain Joe Biden a dénoncé des "bombardements aveugles" dans la bande de Gaza.

L’Assemblée générale de l’ONU a réclamé le 12 décembre "un cessez-le-feu humanitaire immédiat" à Gaza, dans une résolution adoptée par 153 voix pour, 10 contre, et 23 abstentions. Une majorité écrasante qui a même dépassé celles qu’avaient rassemblées les résolutions condamnant l’invasion russe de l’Ukraine.

Ce 18 décembre, le Conseil de sécurité de l’ONU doit se prononcer sur un nouveau texte appelant à une "cessation urgente et durable des hostilités" à Gaza. Le Premier ministre israélien Benjamin Netanyahu a affirmé le 16 décembre qu’il fallait y maintenir "la pression militaire".

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