Est-ce que vous pourriez vous présenter ?
Je m’appelle Manu Sordia, je suis un dessinateur et auteur de BD mais pas seulement… Je fais des illustrations pour différentes revues et aussi des expositions. Ma démarche en tant que dessinateur est vraiment d’utiliser le dessin comme un outil politique, je suis dessinateur mais je suis surtout quelqu’un qui est engagé politiquement. Mon travail de dessin, je l’utilise comme un outil pour sensibiliser sur les questions liées au racisme, au racisme d’État, aux crimes policiers, etc. Aujourd’hui, je sors cette bande dessinée sur l’affaire Mawda. J’ai précédemment publié une BD sur Ali Aarrass.
On dit souvent de vous que vous êtes un artiste engagé, militant. Ce sont des adjectifs qui ne sont pas toujours bien perçus, pas toujours bien interprétés. Est-ce que vous vous y retrouvez ?
Oui, je m’y retrouve, pour moi ce n’est pas du tout péjoratif ! Je sais que ça peut paraître péjoratif pour certain·es, mais ce n’est pas mon cas. Je m’inscris vraiment dans cette idée que l’artiste n’est pas en dehors de la société, en dehors du monde. Je n’aime pas tellement cette idée de l’art qui plane au-dessus de tout dans une sorte d’abstrait, de flou artistique. Je considère que l’artiste est juste un individu comme tout le monde. Et je fais partie de la société, je vis dans cette société, donc j’ai des idées, j’ai des opinions et des convictions par rapport à ce qui se passe dans cette société. J’estime que mon rôle en tant qu’artiste est de prendre position.
Sur votre blog, vous avez posté plusieurs portraits de femmes, vous avez également mis en images le collectif féministe "Les Mères Veilleuses". Quelle place donnez-vous aux femmes dans votre travail ?
J’avoue que je ne réfléchis pas de cette façon-là, même s’il est important qu’elles aient la plus grande place possible. Parce que ça me semble un peu logique de donner plus de place à celles et ceux qui en ont le moins ! Pour parler plus concrètement, ma première bande dessinée, sur Ali Aarrass, met en valeur en grande partie le combat de sa sœur Farida.
Pour resituer, Ali Aarrass est un belgo-marocain qui a été accusé à tort d’activité terroriste et qui a été incarcéré pendant douze ans au Maroc sur base d’aveux obtenus sous la torture. Et l’État belge n’a jamais rien fait pour lui alors qu’il avait la nationalité belge. Sa sœur, Farida Aarrass, pendant ces douze longues années, a mené un combat acharné pour essayer de faire libérer son frère. Je suis en train de travailler à une nouvelle bande dessinée sur Andrée Blouin. Personne ne la connait, pourtant c’est une femme qui a joué un grand rôle dans la lutte anticoloniale au Congo aux côtés de Patrice Lumumba. Elle a été complètement occultée par l’histoire. Même encore aujourd’hui dans les milieux décoloniaux ou même dans les milieux militants, personne n’avait entendu parler de cette femme alors qu’elle a joué un rôle politique vraiment prépondérant ! On pense que c’est dû au fait que c’est une femme, et que c’est dû au fait d’être métisse. Le but de la BD est de plus lui rendre justice et de remettre en valeur le combat qui a été le sien.