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In Yamina Zaazaa We Trust, main dans la main avec les femmes victimes de violences

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Par Jehanne Bergé pour Les Grenades (contenu indépendant de la rédaction)

Dans la série In… We Trust (en français : "Nous croyons en"), Les Grenades vont à la rencontre de femmes arrivées là où personne ne les attendait. Aujourd’hui, place à Yamina Zaazaa, co-directrice du Centre de Prévention des Violences Conjugales et Familiales (CPVCF). Entre lutte contre les inégalités de genre, vision intersectionnelle et accompagnement inconditionnel, elle nous conte son parcours.

11, Rue des Colonies. Dans le bureau du CPVCF, le téléphone sonne. Au bout du fil, des situations de crise, de détresse, de violence mais aussi des demandes d’accompagnement psychologique, daide juridique ou dhébergement…

Le quotidien de Yamina Zaazaa, co-directrice du centre est tissé par lurgence, mais aussi par le temps long de la formation et de la sensibilisation. Aujourdhui, entre deux missions, pour Les Grenades, elle revient sur son combat politique contre les rapports de domination dans lintime.

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Le besoin de se libérer des injonctions

Née en 1961 au Maroc, Yamina Zaazaa grandit auprès dune figure de mère-pilier. "Mon père était absent. Comme beaucoup dhommes à l’époque, il a immigré en Belgique pour travailler, car il voulait nous offrir une émancipation sociale et économique. Pendant ce temps, au pays, ma mère se battait pour tout porter. Je me souviens, elle brodait des robes et allait les vendre au marché pour gagner un peu d’argent."

Après des années de séparation, en 1968, la famille est enfin réunie et s’installe en région minière dans le Borinage. Le climat dexclusion sociale d’alors ne facilite pas la création de liens. Tandis quelle est encore jeune, Yamina Zaazaa prend conscience des rapports de domination qui sopèrent autour delle et ressent le besoin de sen extraire.

"La mine, c’était un milieu très machiste. Je vivais aussi des discriminations du fait d’être racisée et pauvre. Face à ces réalités, jai compris assez vite qu’étudier serait une façon d’échapper à la condition des femmes." Mue par cette nécessité de se battre contre les inégalités et de résister aux différentes injonctions, elle "force" son indépendance et finit par débarquer seule à Bruxelles, pour entrer à l’école ouvrière en vue de devenir assistante sociale.

Se voir renvoyer à ses origines

La liberté et l’émancipation se révèlent illusoires, même à la capitale… En effet, au début des années 80, les questions des droits des femmes sont loin de faire écho dans lopinion publique. "Quand je parlais à mes camarades de classe des inégalités de genre, on me traitait de féministe. Aujourdhui encore, le féminisme, il faut pouvoir lassumer et le porter, mais à l’époque…. c’était vraiment autre chose."

Si être féministe se révèle complexe au sein de la société, être racisée dans le monde féministe est alors aussi un véritable défi. "Le milieu était très blanc et il y avait comme des résistances à y intégrer des femmes racisées, comme si on nous renvoyait le message vous devez encore vous émanciper, vous. Comme on me fermait des portes, j’étais vouée à travailler dans les maisons de quartier ou dans des services où lon traitait de questions raciales."

Yamina Zaazaa persévère, se forme en tant que conseillère familiale et conjugale et finit par être engagée au Centre de Prévention des Violences Conjugales et Familiales, créé quelques années plus tôt, en 1977.

Quand je parlais à mes camarades de classe des inégalités de genre, on me traitait de féministe

"À mes débuts, jai entendu des propos du style Ce nest quand même pas une femme musulmane qui va nous dire comment fonctionne un couple…’ Mais quest-ce que ça signifie ? Que le couple musulman nest pas un modèle d’émancipation ? Aujourdhui encore, cest pareil pour les femmes voilées dans le monde professionnel qui continuent d’être chosifiées, fétichisées. Le voile est perçu comme un stigmate du patriarcat, mais nous sommes toutes aliénées d’une manière ou d’une autre, ça se voit par le choix de nos vêtements, par notre posture… Pointer du doigt les femmes voilées na pas de sens, si ce nest que ça renvoie une personne à son genre, sa race, à sa classe et que ça amplifie le sentiment dimposture."

Une vision intersectionnelle pour une meilleure prise en charge

Devenue co-directrice du CPVCF il y a près de quinze ans, Yamina Zaazaa forme notamment les professionnel·les pour les sensibiliser au cycle des violences et aux processus de domination, et ce dans une perspective intersectionnelle. "Les phases du cycle de lemprise commencent par un climat de tensions, celles-ci peuvent se transformer en agressions, et puis il y a les justifications qui culpabilisent la victime, et enfin un retour à la phase de promesses de sécurité, cest-à-dire lillusion de contrat de départ. Je préfère utiliser les mots ‘phase de sécurité’ plutôt que ‘phase lune de miel’ car l’expression exclut les mariages dits arrangés et ne concernent que les mariages dits romantiques."

Yamina Zaazaa accompagne aussi directement les victimes. Les femmes qui contactent le CPVCF entendent souvent parler du centre par leur médecin, l’école, une amie, une autre association… autant de moments où elles échappent au contrôle de leur mari. "Lors du premier appel téléphonique, on analyse les demandes et ensuite on voit si on peut y répondre ou pas." Pour les situations les plus graves, les victimes peuvent être dirigées vers un hébergement durgence. "Le problème, cest que nous navons pas assez de places dans nos centres à adresse confidentielle, il y a une liste dattente, alors sil faut, nous les orientons vers le Samu."

Libération de la parole, mais risque accru de backlash

Ces dernières années, grâce aux associations féministes, aux ministres des Droits des femmes et aux journalistes engagées, le continuum des violences masculines faites aux femmes a gagné en visibilité dans le débat public, et une série de mesures ont été prises pour une meilleure prise en charge des victimes ainsi que plus de prévention.

Pour tenir le coup, il est important de prendre de la distance, mais bien sûr les femmes marquent ma mémoire

"Plus on sensibilise, plus il y a de conscientisation des professionnel·les, et plus les femmes oseront quitter les situations de violence. En effet, nous devons prêter particulièrement attention à la victimisation secondaire : si on revictimise les femmes en les accueillant mal, elles vont retourner chez leur conjoint, et dès lors courir des risques de dangers ou de mort sociale."

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Yamina Zaazaa pointe également la nécessité de vigilance face au backlash, au retour de bâton après des avancées en termes de droits des femmes. "Le mouvement #metoo a libéré la parole, mais ça remet en cause lordre patriarcal… Le système dominant veut maintenir ses privilèges, dès lors face à la remise en question de ceux-ci, les dominants augmentent leur stratégie de violence pour maintenir leurs privilèges, et dans le couple cette escalade peut mener jusquau féminicide."

La puissance de la sororité

Au quotidien, Yamina Zaazaa est témoin de multitudes dhistoires. Chaque situation diffère par sa complexité et la nécessité de réponse appropriée. Notre interlocutrice se révèle une dentellière de lurgence. "Parfois, il y a des horreurs. Pour tenir le coup, il est important de prendre de la distance, mais bien sûr les femmes marquent ma mémoire."

Si la violence ne va probablement pas diminuer, la professionnelle ne perd pas espoir et croit en la puissance des réseaux de femmes, en la sororité, pour faire bouger les lignes. Elle souligne par exemple la mise en place par le CPVCF en partenariat avec le Ciré de la plateforme ESPER (Épouses sans papiers en résistance) où les victimes dénoncent notamment les violences engendrées par les politiques strictes du regroupement familial.

"Bien sûr ma position et mon métier sont complexes, parfois cest difficile, mais c’est ma manière d’être en contact avec la société. Ça donne du sens à ma vie dun point de vue social, politique et personnel", conclut-elle.

La ligne d’écoute gratuite du CPVCF, disponible 24h/24 et 7j/7 est le 0800/30.030.

 

Le témoignage de Victoria

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Dans le reste de la série In we… trust


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