Dans les années 70, l’Irlande est à feu et à sang. Cette guerre civile en Europe dont on se souvient à peine est magnifiquement évoquée dans “Belfast”, le film de Kenneth Branagh récemment récompensé aux Oscars de Hollywood. On y apprend qu’il y a 50 ans, des bombes explosaient presque chaque jour et des groupuscules nationalistes ou loyalistes faisaient parfois irruption tard le soir dans les immeubles n’hésitant pas à exécuter tous les membres d’une même famille.
Le 10 août 1976, un fait divers tragique va déterminer le destin de deux femmes qui ne se connaissaient pas : Betty Williams et Maired Corrigan.
Cet après-midi-là, Anne Maguire, la sœur de Mairead rentre à pied chez elle avec ses 4 enfants. Joanne, 8 ans, pédale en tête sur sa bicyclette, Mark, 7 ans et John, 2 ans, marchent près de leur maman qui pousse le landau dans lequel somnole le petit Andrew, âgé de six semaines. La famille entend soudain des coups de feu et voit une voiture déboucher en trombe du coin de la rue, poursuivie par deux jeeps militaires. Au volant de la première, Danny Lennon, un militant de l’IRA (le groupe para-militaire de l’Armée Républicaine Irlandaise) qui tente d’échapper à une patrouille de l’armée britannique. Les soldats ouvrent le feu.
Le jeune homme est tué sur le coup mais la voiture continue sa course folle sur le trottoir. Mark parvient à sauter hors de sa trajectoire avant que le véhicule ne fauche Anne et les trois autres enfants. Joanne et Andrew meurent instantanément. John et sa mère, grièvement blessé·es et transporté·es à l’hôpital où le petit garçon décède quelques heures plus tard. Mairead, avertie par un bulletin à la radio, se précipite au chevet de sa sœur plongée dans le coma, le bassin et les jambes fracturées.
Au même moment, quelques minutes seulement après le drame, Betty Williams, en voiture avec sa fille de 4 ans, passe par Finaghy Road. Horrifiée, elle découvre le tas de ferraille de la voiture avec le cadavre du jeune Danny, la bicyclette tordue, la poussette désarticulée et les petits corps sans vie des enfants sur le trottoir maculé de sang. De retour à la maison, elle saisit un bloc de papier et un crayon et va frapper aux portes de tous ses voisins puis de tout son quartier pour leur faire signer une pétition de paix. Des femmes se joignent à elle.
Ces protestations pacifiques des femmes qui ont semé les graines et amorcé le processus de paix
En quelques heures, elles recueillent 6000 signatures pour arrêter le carnage. Devant les caméras de télévision, Betty dénonce la violence qui, dit-elle "assassine nos fils, nos pères et nos frères" et demande à toutes les catholiques et protestantes de se mobiliser. Mairead entend ce message et lui téléphone pour l’inviter aux funérailles de ses neveux le jour suivant. Les deux femmes se rencontrent pour la première fois au cimetière. Le soir, Mairead apporte quelques fleurs détachées des couronnes mortuaires à la mère de Danny Lennon pour lui témoigner sa compassion et lui dire qu’elle partage son chagrin de mère.
Le lendemain, 10.000 personnes se rassemblent pour une marche pacifique. 96% sont des femmes qui ne veulent plus vivre dans la terreur. Pour les catholiques et les protestant·es, traverser les fameuses lignes de démarcation, des fils de fer barbelés ou parfois des murs érigés entre les quartiers, représente un acte de courage car ils risquent de se faire exécuter pour traîtrise par les groupes paramilitaires.
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Tous les dimanches, les marches s’organisent dans différentes villes de l’Irlande du Nord puis de l’Angleterre et bientôt des États-Unis où la communauté irlandaise est importante. Mairead et Betty sont à la une des journaux et sur toutes les chaînes de télévision. Leur initiative provoque un véritable réveil des consciences.
Et même s’il faudra encore attendre 22 ans pour que soient signés les accords du “Vendredi Saint”, ce sont certainement ces protestations pacifiques des femmes qui ont semé les graines et amorcé le processus de paix.
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