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Tradwives : tradition... et régression ?

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Par Juliette Vandestraete pour Les Grenades (contenu indépendant de la rédaction)

Vous avez peut-être déjà aperçu ces femmes maquillées, coiffées et habillées à la mode des années 50, évoquant ainsi l’icône Marilyn Monroe, sur les réseaux sociaux. Cette tendance porte un nom : les tradwives, en français "épouses traditionnelles", un mouvement prônant le retour aux valeurs traditionnelles et à un idéal ultraconservateur au sein d’un foyer.

Armées de leurs téléphones, elles partagent avec les internautes leur quotidien de femmes au foyer parfaites. Souvent jeunes et blanches, elles défendent des valeurs telles que le travail domestique, un soutien infaillible à leurs conjoints, ainsi que l’importance d’incarner une bonne épouse et une bonne mère, des croyances très importantes valorisées durant les années 50.

Selon elles, ces valeurs auraient été négligées par les mouvements féministes récents.

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D’où vient le mouvement des tradwives ?

Le discours des tradwives évoque fortement celui du 19e siècle. Pourtant, sur les réseaux sociaux, les premiers mouvements des tradwives ont émergé aux États-Unis dans le contexte politique de l’administration de Donald Trump.

En 2016, lors des élections américaines, un groupe de femmes émerge sur Facebook : "Make Traditional Housewives Great Again", un nom en hommage au célèbre "Make America Great Again" de l’ancien président américain.

Bien que le mouvement prenne racine principalement aux États-Unis, il gagne également en popularité au Royaume-Uni, et on compte désormais également des adeptes dans le monde francophone.

Chez les garçons, les tendances masculinistes s’affirment et chez les filles, on relève la même tendance régressive, avec par exemple la valorisation de rôles traditionnels et de stéréotypes

Cette tendance s’est exacerbée pendant la crise du Covid-19 aux États-Unis. En septembre 2020, plus de 860.000 Américaines ont quitté leur emploi pour pouvoir s’occuper de leur famille pendant les périodes de confinement, tandis que seulement 200.000 hommes ont fait de même.

Qui sont ces tradwives ?

Une des tradwives les plus populaires sur les réseaux sociaux, est l’américaine Estee Williams. Avec près de 150.000 followers sur TikTok, la jeune américaine de 25 ans partage sa perception du mouvement : "Si vous ne connaissez pas le terme tradwife, il désigne une femme qui choisit un mode de vie traditionnel, avec une division ultra-genrée des rôles. Donc le mari sort de la maison, travaille, subvient aux besoins de la famille, et la femme reste à la maison et prend soin de la maison."

En France, peu de femmes revendiquent leur affiliation à ce mouvement. Cependant, ces derniers temps, une personnalité a émergé sur les réseaux sociaux : Thaïs d’Escufon, ancienne porte-parole de Génération Identitaire, un mouvement politique français d’extrême droite.

Avec plus de 200.000 abonné·es sur Youtube, cette influenceuse se déclare ouvertement antiféministe et cible une communauté bien précise : les hommes qui se sentent rejetés dans notre société. Il est important de souligner aussi que ce mouvement est souvent associé à la religion chrétienne. En effet, le mouvement "trad christian wife" est également très actif sur les réseaux.

Il faut faire la distinction entre les femmes qui font le choix de demeurer à la maison et les femmes qui s’identifient à la mouvance des tradwives

Dans une interview pour le magazine Elle, la chercheuse Véronique Pronovost décrypte ce mouvement. Selon elle, les tradwives souscrivent à un discours politique ancré dans le conservatisme, qui rejette le féminisme ainsi que les avancées réalisées par les femmes en termes d’égalité. Elle souligne également qu’en "adoptant ce style de vie, les tradwives sont plus isolées et perdent de leur indépendance, en particulier leur indépendance économique. Il s’agit de facteurs de vulnérabilité importants quand on étudie les violences faites aux femmes."

Il est donc important de différencier deux groupes de femmes : celles qui prennent la décision de rester à la maison pour diverses raisons et celles qui s’identifient activement à la mouvance des tradwives. Bien qu’elles puissent partager une situation similaire, leurs motivations et leurs affiliations idéologiques diffèrent significativement.

Sur France Inter, la journaliste Salomé Saqué, souligne également qu’il est important de ne pas juger ces tradwives, mais qu’il faut plutôt essayer de comprendre que les inégalités genrées existent toujours.

En effet, en France, 80% des tâches ménagères sont toujours accomplies par les femmes. La journaliste explique également que le mouvement des tradwives met en lumière un choix de confort par rapport à un monde du travail qui est violent, en particulier envers les femmes.

Les mouvements masculinistes en profitent

Depuis les années 70, le mouvement masculiniste, qui postule que les hommes souffrent de l’émancipation des femmes, a connu une croissance constante, et récemment avec l’avènement du mouvement MeToo.

En parallèle des tradwives, c’est donc du contenu masculiniste qui a fleuri ces derniers temps sur nos réseaux sociaux. S’il n’y a pas de données officielles en Belgique, la France met en garde dans son rapport annuel sur le sexisme publié par le Haut Conseil à l’égalité : "Les réflexes masculinistes et les comportements machistes s’ancrent, en particulier chez les jeunes hommes adultes, pendant que l’assignation des femmes à la sphère domestique et au rôle maternel regagne du terrain."

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De plus en plus de jeunes hommes considèrent qu’il est compliqué d’être un homme dans nos sociétés actuelles et 37% des hommes considèrent que le féminisme menace leur place au sein de la société.

La présidente du Conseil, Sylvie Pierre-Brossolette, souligne que "Chez les garçons, les tendances masculinistes s’affirment et chez les filles, on relève la même tendance régressive, avec par exemple la valorisation de rôles traditionnels et de stéréotypes."

Beaucoup de tradwives sont souvent associées à certains groupes masculinistes, car beaucoup de ces derniers trouvent des alliées au sein de ce mouvement.

Tradwife et extrême droite ?

Claire Sorin, chercheuse sur l’antiféminisme aux États-Unis, interviewée dans le podcast La mytho des fachos : les tradwives explique que "les tradwives déplorent que beaucoup de féministes jettent sur elles un regard méprisant. Elles décrivent souvent les féministes comme des femmes méprisantes à leur égard. Elles insistent qu’elles-mêmes ne jugent personne, qu’elles sont tolérantes. Elles disent que le but du féminisme est de donner le choix aux femmes. Le problème, c’est qu’elles oublient que toutes les femmes n’ont pas ce choix-là de rester à la maison puisque cette possibilité est essentiellement réservée aux femmes des classes moyennes et supérieures, celles dont les époux gagnent suffisamment pour faire vivre le foyer."

Selon elle, plusieurs études ont d’ailleurs montré le lien entre les tradwives, l’extrême droite, le masculinisme ou encore le suprémacisme blanc. Certaines tradwives se sentiraient investies d’une mission raciale qui viserait à sauver la race blanche, menacée par des invasions ethniques.

C’est notamment le cas de la tradwife Ayla Stewart qui a lancé un challenge sur les réseaux sociaux il y a plusieurs années, le challenge du bébé blanc : "En tant que mère de 6 enfants, j’invite les familles à avoir autant de bébés blancs que moi." Assurément de quoi interroger.

Cet article a été écrit lors d’un stage au sein de la rédaction des Grenades.

Si vous souhaitez contacter l’équipe des Grenades, vous pouvez envoyer un mail à lesgrenades@rtbf.be.

Les Grenades-RTBF est un projet soutenu par la Fédération Wallonie-Bruxelles qui propose des contenus d’actualité sous un prisme genre et féministe. Le projet a pour ambition de donner plus de voix aux femmes, sous-représentées dans les médias.

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