Les Grenades

In Camille Husson We Trust, lever les tabous autour de la sexualité des femmes

© Alice Piemme

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Par Jehanne Bergé pour Les Grenades

Dans la série In… We Trust (en français : "Nous croyons en"), Les Grenades vont à la rencontre de femmes arrivées là où personne ne les attendait. Dans cet épisode, nous discutons sexualité, désir et non-dits avec la comédienne Camille Husson, dont le spectacle SEXPLAY Nos panthères Nos joyaux est à découvrir ces 14 et 15 mars au centre culturel de Jette.

Dans son spectacle SEXPLAY Nos panthères Nos joyaux, Camille Husson, 38 ans, interroge notre rapport au corps, à la jouissance et à ce qui est considéré comme obscène (étymologiquement, ce qui doit rester en dehors de la scène comme elle le rappelle en introduction de la pièce).

À travers un récit autofictionnel puisé dans ses expériences charnelles, ses doutes et ses projections, l’artiste met en lumière nos injonctions à respecter les normes. Pour Les Grenades, elle dévoile les prémisses et coulisses de ce qui l’a menée à écrire cette histoire…

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Un regard féministe pour raconter

Après une enfance à Saint-Étienne près de Lyon, Camille Husson arrive en Belgique en 2006 pour entrer au Conservatoire de Liège. "Le milieu du théâtre restant inégalitaire en termes de genre, à la sortie de l’école, avec d’autres comédiennes, nous avons créé notre collectif Darouri Express entre femmes pour pouvoir écrire des spectacles qui nous donneraient des rôles intéressants."

En 2015, elle crée sa première pièce au sein de la compagnie. MYZO ! Raconte le récit d’une jeune fille dont la misogynie trouve racines dans la sous-représentativité des femmes dans l’histoire et les stéréotypes sexistes de la société dans laquelle elle vit. "Moi-même, petite, ça me semblait nul d’être une fille. Il y avait une multitude de choses que nous n’avions pas le droit de faire, dès lors je n’en voyais pas l’intérêt. Il était très compliqué de s’identifier à des femmes puisque l’histoire les avait effacées."

Pour construire ce récit, Camille Husson part alors à la rencontre d’associations féministes et d’historiennes. Si auprès des expertes, sa démarche trouve écho, concernant le reste de la société, elle se heurte à de nombreuses résistances. "À cette époque la question de l’invisibilisation des femmes était encore très peu médiatisée. Quand le spectacle est sorti, on en a pris plein la gueule, on nous répétait qu’on incitait à la guerre des sexes, que tout ça, c’était passé et révolu. Heureusement, le début du mouvement #Metoo, il n’y a plus du tout eu le même accueil."

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Passer d’objet de désir à sujet désirant

Prolongeant sa réflexion et les rencontres menées durant l’écriture de MYSO !, Camille Husson en vient à se questionner sur son propre rapport à la sexualité. "J’ai découvert le mouvement ‘pro-sexe’qui voit en la sexualité un domaine culturel qui doit non seulement être investi par les femmes et les minorités, mais aussi par les domaines artistiques. J’avais toujours eu l’impression d’être très libre, d’avoir le droit de faire ce que je voulais, mais j’ai réalisé qu’en fait, pas du tout !"

La révolution sexuelle n’a pas achevé sa rotation, et nous ne sommes pas encore libres de disposer de nos propres corps

Au fil de ses interrogations, elle déconstruit peu à peu les injonctions. "J’ai compris que je me mettais souvent dans la position d’objet à désirer (ou pas), mais rarement en tant que sujet désirant (ou pas). Et ça, ça a fait exploser quelque chose, soudain j’ai ressenti un réel besoin d’en parler, en ‘JE’.

Déconstruire les schémas

Pendant plusieurs années Camille Husson cherche, déconstruit et reconstruit l’intime d’un point de vue politique. La comédienne prend alors le temps d’analyser si le schéma hétéronormatif qui est le sien lui est propre ou s’il lui est imposé par l’extérieur, c’est-à-dire par les normes sociales. "Je suis allée me confronter à des choses que je n’avais jamais expérimentées afin de prendre conscience de mes limites par exemple en me rendant au PornFestival de Berlin. Moi qui me croyais non-jugeante, je me suis rendu compte que je portais de nombreuses barrières morales qui entravaient mes désirs et mon exploration sexuelle."

Décidée à se défaire de cette carapace sociale, elle parcourt les bibliothèques, rencontre des spécialistes, fouille, et pousse les portes de lieux dédiés au sexe. "J’ai notamment réalisé à quel point les espaces lesbiens étaient sous-représentés. À l’époque le Crazy Cirle n’existait pas encore à Bruxelles. Aussi c’était très difficile de trouver des endroits avec toutes les sexualités pas seulement hétéros ou homosexuelles entre hommes."

© Alice Piemme

Décidée à se défaire de cette carapace sociale, elle parcourt les bibliothèques, rencontre des spécialistes, fouille, et pousse les portes de lieux dédiés au sexe. "J’ai notamment réalisé à quel point les espaces lesbiens étaient sous-représentés. À l’époque le Crazy Cirle n’existait pas encore à Bruxelles. Aussi c’était très difficile de trouver des endroits avec toutes les sexualités pas seulement hétéros ou homosexuelles entre hommes."

Le "JE" pour libérer la parole

Dans SEXPLAY Nos panthères Nos joyaux, sorti en 2020, seule en scène Camille Husson raconte son éveil sexuel entre copines, sa première fois, ses expériences dans des clubs échangistes. Sont abordés entre autres le rapport au corps à travers les âges, la masturbation, l’hétéronormativité, la pression sexuelle, la transmission sororale, les fantasmes…

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Le résultat se révèle sincère, cru, franc. "En revanche ça n’a pas été si simple à porter comme projet, car une femme qui exprime sa sexualité est encore considérée comme une salope."

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Grâce au label IMPACT de la COCOFF, l’équipe du spectacle a reçu des financements pour mener des actions de médiation culturelle les écoles, mais aussi à travers des associations. "Par exemple j’ai organisé des ateliers en non-mixité où j’ai invité les femmes à passer par ce processus d’écriture en ‘JE’ pour raconter différents moments de leur vie en lien avec leur sexualité, mais en y ajoutant de la fiction. Les femmes avaient de 18 à 80 ans, c’était hyper émouvant d’entendre les résonances entre nos histoires notamment sur les questions de honte."

Le consentement central et moteur

Aussi, à travers son spectacle, la comédienne creuse évidemment le consentement. Dès lors, en ateliers, l’artiste explique avoir particulièrement travaillé cette notion avec les jeunes. "Il y a eu des moments très forts lorsqu’ils et elles se livraient. Certain·es ont abordé la question du consentement de manière très éveillée, mais pour d’autres c’était beaucoup plus compliqué. La sexualité reste un sujet extrêmement tabou, souvent perçu comme quelque chose de sale. Le slut-shaming, l’homophobie, les jugements, la honte et la surveillance du groupe vis-à-vis des libertés individuelles sont encore très présents."

Moi-même, petite, ça me semblait nul d’être une fille. Il y avait une multitude de choses que nous n’avions pas le droit de faire

Les représentations scolaires étant prévues en septembre, octobre, Camille Husson est arrivée dans les classes au beau milieu de la polémique autour de l’EVRAS, une période particulièrement complexe pour discuter de ces enjeux. "Une école a même annulé ma venue. C’était dur de ne pas se laisser envahir par la peur, car il y a eu quand même des réactions violentes… Mais ce qui est positif c’est que le spectacle a permis de créer un débat avec les jeunes autour de ces questions."

Des évènements pour penser nos sexualités

En marge des représentations et des ateliers, plusieurs conférences ont été organisées en partenariat avec différentes associations et penseuses. Pour clore le cycle de conférences, ce 12 mars à La Bellone, accompagnée de Charlotte Couturier, la comédienne invitera le public à plonger dans l’ouvrage "Pornoterrorisme" de Diana J. Torres pour une rencontre intitulée L’art Et Le Sexe Font-Ils Bon Ménage ?.

Un événement organisé en amont des représentations de SEXPLAY Nos panthères Nos joyaux ces 14 et 15 mars au centre culturel de Jette.

© Bartolomeo La Punzina

"Nos sexualités ce sont nos histoires. Nous, femmes et minorités, devons pouvoir prendre la parole sans tabou et sans craindre les répercussions. Il est temps d’écouter, car non la révolution sexuelle n’a pas achevé sa rotation, et non nous ne sommes pas encore libres de disposer de nos propres corps. J’espère que la pièce peut aider à lever les tabous, pour comme je le disais être sujet (ou pas) et plus seulement objet désiré (ou pas)", conclut Camille Husson.


Dans la série In… We Trust (Nous croyons en)


Si vous souhaitez contacter l’équipe des Grenades, vous pouvez envoyer un mail à lesgrenades@rtbf.be

Les Grenades-RTBF est un projet soutenu par la Fédération Wallonie-Bruxelles qui propose des contenus d’actualité sous un prisme genre et féministe. Le projet a pour ambition de donner plus de voix aux femmes, sous-représentées dans les médias.

 

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