Les Grenades

Paola Cortellesi, réalisatrice du film "Il reste encore demain" : "Les jeunes filles doivent protéger leurs droits"

© Tous droits réservés

Temps de lecture
Par Caroline Bordecq, correspondante en Italie pour Les Grenades (contenu indépendant de la rédaction)

En salle le 20 mars en Belgique, Il reste encore demain, le premier long métrage de Paola Cortellesi, était le film le plus vu en 2023 en Italie.

Situé au lendemain de la guerre, ce récit en noir et blanc sur les violences faites aux femmes interpelle sur la situation des Italiennes dans la société actuelle.

Paola Cortellesi est "heureuse", et "surprise". Après le succès retentissant en Italie de son film Il reste encore demain, la réalisatrice romaine voit en ce moment la "magie" opérer dans les salles à l’étranger.

"C’est un film italien, avec un langage parlé de l’époque, très dialectal, et je me demandais comment ça allait être traduit. Mais les gens sourient et sont touchés par les mêmes choses… Je ne pensais pas qu’il y aurait cette immédiateté", confie-t-elle aux Grenades, la voix émue.

Son premier long métrage a déjà rejoint la liste des dix films les plus vus en Italie, depuis sa sortie le 26 octobre. Détrônant au passage le succès mondial La Vie est belle, de Roberto Benigni (1997).

►►► Retrouvez en cliquant ici tous les articles des Grenades, le média de la RTBF qui dégoupille l’actualité d’un point de vue féministe

© Tous droits réservés

"Je voulais faire un film populaire"

Le pari n’était pourtant pas gagné. Situé au lendemain de la guerre, dans un quartier populaire de Rome, encore meurtri par vingt ans de dictature fasciste, ce film en noir et blanc raconte l’histoire de Delia, une mère de famille pauvre – dans une société profondément misogyne – qui jongle entre des boulots mal payés, son foyer à entretenir, et les humeurs de son mari violent.

"Quand je disais que je voulais faire un film populaire qui atteigne le plus de monde possible et que je présentais tous ces éléments, au début ça a suscité des doutes. Ça faisait sourire car ça ressemblait plutôt à un film d’élite", se souvient Paola Cortellesi. Pourtant, cinq millions d’entrées plus tard (plus que les blockbusters Barbie et Oppenheimer), c’est une mission accomplie.

"Je n’avais jamais entendu des applaudissements aussi forts à la fin d’un film. Ça a été une émotion collective", se remémore Elisa Ercoli, présidente de l’association féministe Differenza donna.

Loading...

Un film qui touche une corde sensible

Comment expliquer un tel succès ? Déjà connue du public italien comme humoriste et actrice, la popularité de la réalisatrice – qui interprète aussi le rôle de Delia – y a certainement contribué. Paola Cortellesi "atteint différentes couches de la population. Son nom a sûrement attiré des personnes qui ne seraient jamais allées voir un film italien en noir et blanc sur ce sujet", observe Chiara Tognolotti, professeure d’histoire du cinéma italien à l’Université de Pise.

Mais surtout, en abordant la question des violences contre les femmes, la Romaine de 50 ans a touché une corde sensible dans le pays. L’an passé, plusieurs cas de viols collectifs et de féminicides (le collectif Non Una Di Meno en a recensé 120 en 2023) ont suscité l’émoi en Italie.

Celui de Giulia Cecchettin, tuée à 22 ans par son ex-compagnon, le 11 novembre 2023, a même poussé des milliers de manifestant·es dans la rue. Et ce, jusqu’à la journée de lutte contre les violences faites aux femmes qui a mobilisé 500.000 personnes à Rome.

"Un sujet politique énorme"

"Paola Cortellesi a réussi à intercepter un sujet politique énorme et une volonté diffuse de changements", analyse Maura Cossutta, présidente de l’association féministe Casa Internazionale delle donne.

"C’est probablement une histoire qui avait besoin d’être racontée et les Italien·nes l’ont saisie comme une opportunité pour parler de ces sujets", observe à son tour la réalisatrice qui elle-même a appelé, en novembre, la Première ministre Giorgia Meloni et la secrétaire du parti d’opposition Elly Schlein à mettre leurs différences de côté et à "unir leurs forces" contre les féminicides.

De plus, à travers les images en noir et blanc, Paola Cortellesi expose une réalité bien actuelle. Aidée par ses co-scénaristes, Giulia Calenda et Furio Andreotti, la réalisatrice a épluché des rapports récents sur les violences conjugales.

►►► Pour recevoir les informations des Grenades via notre newsletter, n’hésitez pas à vous inscrire ici

Dénigrement, absence de liberté, dépendance économique… Le film met en scène toutes ces "dynamiques qui se répètent", explique-t-elle, et qui caractérisent les situations de violences aujourd’hui, comme à l’époque.

"Ce qui est paradoxal, c’est que ces dynamiques sont les mêmes alors que maintenant nous [les femmes] avons des droits", soulève la réalisatrice, rappelant que "dans de nombreux cas, ils ne sont pas appliqués". Celle-ci confie d’ailleurs qu’en dédiant ce film à sa fille, elle le fait "à toutes les filles qui devront protéger leurs droits, car rien n’est acquis".

© Tous droits réservés

Parler correctement des violences domestiques

De son côté, Elisa Ercoli, dont l’association gère des maisons d’accueil et une ligne d’écoute pour les femmes victimes, se réjouit de ce récit qui contribue à "parler correctement" des violences domestiques. Sans tomber dans "l’apitoiement" ou encore dans "la pornographie de la violence", insiste-t-elle.

La plupart du temps, on devine les coups du mari de Delia derrière des portes et des volets qui se ferment. Puis, il y a cette scène où les violences prennent la forme d’une chorégraphie. "A ce moment-là, on comprend qu’il va être violent. Mais je ne voulais pas raconter cet acte à cet instant précis, je voulais raconter ce qui se passe depuis toujours. Les bleus qui vont et qui viennent. Elle qui subit encore, et encore, et encore. Et la danse permettait d’aller dans ce sens", explique Paola Cortellesi.

Aussi, le personnage de Delia ne se résume pas à la violence. Il y a la solidarité avec les autres femmes, le rapport avec sa fille, jouée par Romana Maggiora Vergano. Et des moments plus légers. Encore un reflet de "la vraie vie qui n’est pas seulement dramatique ou comique", souligne la réalisatrice.

Le ridicule, en revanche, elle le réserve au mari violent, interprété par Valerio Mastandrea, et au beau-père grossier, joué par Giorgio Colangeli. "Malheureusement, les méchants comme les gangsters risquent souvent de devenir charmants auprès du public, et je ne voulais pas que ces deux puissent l’être", explique-t-elle.

Enfin, Il reste encore demain "n’est pas un film de protestation, ou de lutte. C’est un récit", commente Maura Cossutta. "A travers cette femme du passé, il y a l’histoire des femmes".

Et des droits des femmes. Pour elle, "ce film est une belle preuve de féminisme. Chacune avec notre langage nous témoignons une volonté de délivrance, de liberté. Chacune dans son domaine, les femmes réagissent."

© Tous droits réservés

Si vous souhaitez contacter l’équipe des Grenades, vous pouvez envoyer un mail à lesgrenades@rtbf.be.

Les Grenades-RTBF est un projet soutenu par la Fédération Wallonie-Bruxelles qui propose des contenus d’actualité sous un prisme genre et féministe. Le projet a pour ambition de donner plus de voix aux femmes, sous-représentées dans les médias.

Inscrivez-vous à la newsletter Les Grenades

Recevez chaque mois un condensé d'infos qui dégoupillent l'actualité d'un point de vue féministe.

Articles recommandés pour vous