Les Grenades

Sur tous les continents, les femmes sont des moteurs de paix

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Par Esmeralda de Belgique, une chronique pour Les Grenades

Les femmes sont rarement à l’origine des guerres. Elles sont en revanche parmi les premières victimes. En moyenne, trois quarts des personnes déplacées par les conflits sont des femmes et des enfants. Actuellement, parmi les millions de réfugié·es Ukrainien·nes en Europe, la proportion frôle les 90%.

Au milieu des combats, sur le chemin de l’exil ou dans les camps, les femmes et les jeunes filles subissent brutalité et exploitation. Kidnappées pour en faire des esclaves, mariées de force ou victimes d’agression sexuelle, elles doivent faire face à de multiples formes de violence, physique émotionnelle et psychologique.

Selon le rapport de la Conférence mondiale de Pékin en 1995, "cette violence traduit les rapports de force historiques qui ont abouti à la domination des femmes par les hommes et à la discrimination".

Les Nations Unies estiment à plus de 200.000 les victimes de viol lors du génocide rwandais, 40.000 au cours des guerres civiles au Liberia et plus d’un demi-million en République démocratique du Congo. Au Myanmar, les réfugiées rohingyas ont vécu le même enfer. En Syrie, en Colombie, au Guatemala, au Yemen, le viol est utilisé comme arme de guerre pour détruire, humilier, anéantir.

Quand les femmes réparent

Cependant, dès que les armes se taisent, ce sont les femmes qui réparent les communautés, les villages et les familles. Des milliers d’entre elles s’activent dans l’ombre, souvent dans l’insécurité et la crainte. Elles ne reçoivent ni reconnaissance, ni soutien, ni honneurs mais poursuivent leur mission avec détermination.

En octobre 2000, la résolution 1325 des Nations Unies, votée à l’unanimité, fut une étape majeure affirmant le changement des mentalités et la nécessité d’inclure la thématique du genre dans les conflits. Celle-ci demande en effet d’instaurer une représentation accrue des femmes à tous les niveaux dans les processus de paix, comme observatrices de l’ONU dans les conflits et dans les opérations de maintien de la paix.

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Le Conseil de Sécurité y exhorte également tous les intéressés, lors de la négociation et de la mise en œuvre d’accords de paix, à prendre en compte les besoins spéciaux des femmes et des jeunes filles dans les conflits armés, à soutenir les initiatives de paix prises par des femmes et à respecter le droit international humanitaire.

Une étape essentielle, je le répète. Mais où en sommes-nous aujourd’hui, deux décennies plus tard ? Dans les processus de paix au niveau mondial, les femmes ne représentent toujours que 6% des médiateurs et 14% des négociateurs !

Il est impératif que plus de pays intègrent le principe d’égalité des genres au niveau des décisions.

Pourquoi est-ce important ? Parce que la femme est un moteur de paix. Selon un proverbe africain : "La mère est une école". Et c’est vrai. Dans les familles, ce sont les mères qui transmettent et communiquent les valeurs culturelles et sociales, la tolérance et la patience. Elles élèvent leurs enfants en professant la non-violence, en prônant la paix, la conciliation. Au sein des communautés, elles tissent des liens et forgent des alliances. A la table de négociations, elles cherchent des solutions constructives et engagent facilement le dialogue.

Dès que les armes se taisent, ce sont les femmes qui réparent les communautés, les villages et les familles. Des milliers d’entre elles s’activent dans l’ombre, souvent dans l’insécurité et la crainte. Elles ne reçoivent ni reconnaissance, ni soutien, ni honneurs

J’ai eu la chance de rencontrer la plupart des lauréates du Prix Nobel de la paix encore en vie. Rappelons d’ailleurs que depuis 1901, seules 17 femmes l’ont remporté mais cela représente le meilleur pourcentage parmi toutes les catégories de Nobel.

Comble d’ironie, il semble que ce soit deux femmes, l’Anglaise Florence Nightingale et l’Autrichienne Bertha von Suttner, qui auraient persuadé Alfred Nobel d’ajouter un prix pour la paix à ceux pour les sciences et la littérature. Une façon pour lui de s’acheter une bonne conscience après son invention de la dynamite !

Le prix récompense ainsi "la personnalité ou la communauté ayant le plus ou le mieux contribué au rapprochement des peuples, à la suppression ou à la réduction des armées permanentes, à la réunion et à la propagation des progrès pour la paix".

Voici comme exemple, l’histoire des lauréates du prix de 1976, deux Irlandaises qui décidèrent de s’unir pour arrêter la violence et instaurer le dialogue. Des femmes qui réalisèrent l’exploit de réunir pour une même cause des individus de religion et d’ethnies différentes qui se déchiraient auparavant, posant ainsi les premiers jalons qui mèneraient, vingt ans plus tard, aux accords de paix.

Le combat pour la paix de Betty Williams et Maired Corrigan

Dans les années 70, l’Irlande est à feu et à sang. Cette guerre civile en Europe dont on se souvient à peine est magnifiquement évoquée dans “Belfast”, le film de Kenneth Branagh récemment récompensé aux Oscars de Hollywood. On y apprend qu’il y a 50 ans, des bombes explosaient presque chaque jour et des groupuscules nationalistes ou loyalistes faisaient parfois irruption tard le soir dans les immeubles n’hésitant pas à exécuter tous les membres d’une même famille.

Le 10 août 1976, un fait divers tragique va déterminer le destin de deux femmes qui ne se connaissaient pas : Betty Williams et Maired Corrigan.

Cet après-midi-là, Anne Maguire, la sœur de Mairead rentre à pied chez elle avec ses 4 enfants. Joanne, 8 ans, pédale en tête sur sa bicyclette, Mark, 7 ans et John, 2 ans, marchent près de leur maman qui pousse le landau dans lequel somnole le petit Andrew, âgé de six semaines. La famille entend soudain des coups de feu et voit une voiture déboucher en trombe du coin de la rue, poursuivie par deux jeeps militaires. Au volant de la première, Danny Lennon, un militant de l’IRA (le groupe para-militaire de l’Armée Républicaine Irlandaise) qui tente d’échapper à une patrouille de l’armée britannique. Les soldats ouvrent le feu.

Le jeune homme est tué sur le coup mais la voiture continue sa course folle sur le trottoir. Mark parvient à sauter hors de sa trajectoire avant que le véhicule ne fauche Anne et les trois autres enfants. Joanne et Andrew meurent instantanément. John et sa mère, grièvement blessé·es et transporté·es à l’hôpital où le petit garçon décède quelques heures plus tard. Mairead, avertie par un bulletin à la radio, se précipite au chevet de sa sœur plongée dans le coma, le bassin et les jambes fracturées.

Au même moment, quelques minutes seulement après le drame, Betty Williams, en voiture avec sa fille de 4 ans, passe par Finaghy Road. Horrifiée, elle découvre le tas de ferraille de la voiture avec le cadavre du jeune Danny, la bicyclette tordue, la poussette désarticulée et les petits corps sans vie des enfants sur le trottoir maculé de sang. De retour à la maison, elle saisit un bloc de papier et un crayon et va frapper aux portes de tous ses voisins puis de tout son quartier pour leur faire signer une pétition de paix. Des femmes se joignent à elle.

Ces protestations pacifiques des femmes qui ont semé les graines et amorcé le processus de paix

En quelques heures, elles recueillent 6000 signatures pour arrêter le carnage. Devant les caméras de télévision, Betty dénonce la violence qui, dit-elle "assassine nos fils, nos pères et nos frères" et demande à toutes les catholiques et protestantes de se mobiliser. Mairead entend ce message et lui téléphone pour l’inviter aux funérailles de ses neveux le jour suivant. Les deux femmes se rencontrent pour la première fois au cimetière. Le soir, Mairead apporte quelques fleurs détachées des couronnes mortuaires à la mère de Danny Lennon pour lui témoigner sa compassion et lui dire qu’elle partage son chagrin de mère.

Le lendemain, 10.000 personnes se rassemblent pour une marche pacifique. 96% sont des femmes qui ne veulent plus vivre dans la terreur. Pour les catholiques et les protestant·es, traverser les fameuses lignes de démarcation, des fils de fer barbelés ou parfois des murs érigés entre les quartiers, représente un acte de courage car ils risquent de se faire exécuter pour traîtrise par les groupes paramilitaires.

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Tous les dimanches, les marches s’organisent dans différentes villes de l’Irlande du Nord puis de l’Angleterre et bientôt des États-Unis où la communauté irlandaise est importante. Mairead et Betty sont à la une des journaux et sur toutes les chaînes de télévision. Leur initiative provoque un véritable réveil des consciences.

Et même s’il faudra encore attendre 22 ans pour que soient signés les accords du “Vendredi Saint”, ce sont certainement ces protestations pacifiques des femmes qui ont semé les graines et amorcé le processus de paix.

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