Journal du classique

Première mondiale : deux partitions manuscrites d’Eugène Ysaÿe ont été retrouvées, orchestrées et enregistrées

Eugène Ysaye (1858-1931)

© Fine Art Images / Heritage Images / Getty Images

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Par Paula Floch

Avec la redécouverte de la Sonate Posthume d’Eugène Ysaÿe en 2019, le violoniste Philippe Graffin ouvre un nouveau chapitre dans la création d’œuvres oubliées - et pourtant majeures - de ce compositeur liégeois. En partenariat avec le musicologue Xavier Falques, des bijoux restés dans l’ombre reprennent vie à travers l’album Rêves, paru en février 2024.

Un trésor endormi dans les archives de la Bibliothèque du Conservatoire de Bruxelles

Le grand violoniste français Philippe Graffin s’inscrit depuis des décennies comme une référence dans l’interprétation du répertoire du 20e siècle. Il est salué par la presse internationale, qui souligne "son exemplaire curiosité" (Crescendo magazine). Et pour cause, l’un des traits de sa personnalité artistique est bien son goût pour l’exploration d’un répertoire oublié ou moins connu, qui va l’emmener sur les traces des partitions oubliées du compositeur et violoniste Eugène Ysaye, né à Liège en 1858.

Cette grande exploration commence en 2019, lorsque Philippe Graffin fait une découverte surprenante en feuilletant un manuscrit du compositeur liégeois à la Bibliothèque Royale de Bruxelles. Il existe une sonate en hommage au violoniste espagnol Manuel Quiroga, qui ne figure pas dans le corpus des sonates du compositeur. Datant de 1923, cette pièce de maturité déploie un style abouti : pour Philippe Graffin, la nécessité de redonner vie à cette partition s’impose. La sonate est créée et enregistrée dans son album Fiddler’s blues.

Josef Gingold, professeur de Philippe Graffin… Et élève d’Eugène Ysaye

Pendant ses études au Conservatoire supérieur de Paris, Philippe Graffin traverse l’Atlantique pour étudier un an en Amérique avec Josef Gingold, qui a été l’élève d’Eugène Ysaye. Le jeune violoniste est marqué par le jeu très expressif de son professeur. Un violon qui chante, empreint d’une certaine fragilité avec ses lignes et ses couleurs à fleur de peau, qui se rapprochent de la faille.

Cette expressivité n’est pas le seul héritage du violon d’Ysaye : il a aussi apporté à l’instrument des possibilités techniques nouvelles. Par exemple, c’est le premier violoniste à jouer avec vibrato. Jusqu’alors les violonistes n’exécutaient que des sons droits. On dit qu’Eugène Ysaye faisait chanter son violon avec ces nouveaux sons vibrés. Et peu à peu, ces nouvelles possibilités techniques et expressives s’invitent dans les partitions de Chausson, Debussy ou César Franck.

En tant qu’héritier au second degré de la technique d’Ysaye, Philippe Graffin est un gardien de ce violon à la fois sensible et virtuose : "Un jeu qui tend peut-être à s’effacer en faveur d’une technique efficace, tout-terrain. Les jeunes interprètes ont tout intérêt à renouer avec ce répertoire pour cultiver un violon expressif" explique le violoniste.

Rencontre avec Xavier Falques, musicologue spécialiste d’Eugène Ysaye

Lorsque Xavier Falques lui parle d’autres partitions d’Eugène Ysaye restées dans l’ombre, Philippe Graffin se plonge avec lui dans ce nouveau travail d’exploration. Restés au stade de manuscrits plus ou moins clairs et aboutis, le Concerto en mi mineur et Le Poème concertant sont étudiés, analysés et orchestrés par Xavier Falques, la compositrice Erika Vega et la pianiste Cansu Sanlidag. Quant à la dimension interprétative de ces œuvres, elle est confiée à Philippe Graffin.

Le Poème concertant, une histoire d’amour qui dérange

Il est surprenant de noter que ces deux œuvres à l’avant-gardisme formel et à l’intensité musicale remarquables aient été oubliées si longtemps. Comment expliquer la disparition de ce pan majeur de l’Œuvre d’Ysaye ?

Pour ce qui est du Concerto pour violon en Mi mineur, Eugène Ysaye serait tout simplement passé à autre chose, sans aboutir l’écriture de cette pièce, restée en suspens jusqu’à aujourd’hui.

Quant au Poème concertant, la dimension personnelle, autobiographique de l’œuvre, était dérangeante : Eugène Ysaye y exprime son amour pour son élève, une violoniste prodige du nom d Irma Sèthe, dont la vie personnelle et artistique a été mise en lumière par les recherches de la musicologue Marie Conraz. C’était un amour réciproque mais douloureux : Ysaye était marié et a choisi de renoncer à Irma. A ce propos, on a retrouvé une lettre dans laquelle Eugène Ysaye exprime clairement cette analogie entre son histoire d’amour et ce Poème concertant. Il écrit à Irma : "Plus je l’entends plus je trouve que ce poème est le nôtre", et il ajoute : "Je sais que n’importe quelle œuvre que j’écrirai ne dira mieux que celle-ci, ce chapitre bien amer de notre existence."

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Rêves : un album flamboyant, puis intime

Dans cet album du violoniste Philippe Graffin paru en février 2024, le Concerto en mi mineur et Le Poème concertant orchestrés constituent la première partie de l’album. Le violon virtuose de Philippe Graffin est nourri par la puissance expressive du Royal Liverpool Philharmonic Orchestra, sous la baguette de Jean-Jacques Kantorow.

Le piano de Marisa Gupta rejoint ensuite le violon pour des œuvres de jeunesses tout en pudeur : ses Mazurkas puis Rêve d’enfant, certainement sa mélodie la plus populaire, qui clôt l’album comme un tendre hommage au violon expressif d’Ysaye.

La Matinale - Actualité musicale belge

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