Europe

Plainte contre l’épouse de Pedro Sanchez : un séisme d’une magnitude 7 sur l’échelle politique espagnole

Le Président du gouvernement espagnol Pedro Sanchez assiste à une session plénière au Congrès des députés, la chambre basse du parlement espagnol, à Madrid, le 14 mars 2024.

© AFP – PIERRE-PHILIPPE MARCOU

Temps de lecture
InfoPar Africa Gordillo

L’Espagne retient son souffle jusqu’à lundi après le coup de théâtre de Pedro Sanchez. Dans une longue lettre publiée sur son compte personnel X (ex-Twitter), le président du gouvernement espagnol s’est adressé aux "citoyens" expliquant qu’il se mettait en retrait de la vie politique jusqu’à lundi. Une pause pour réfléchir à une possible démission comme chef de l’exécutif.

L’enquête ouverte à l’encontre de son épouse Begoña Gomez pour trafic d’influence et corruption sur base d’une plainte de Manos Limpias – Mains Propres en français –, une organisation issue de l’extrême droite, apparaît comme l’attaque de trop. Trop personnelle aussi pour le leader socialiste. L’opposition conservatrice, elle, y voit le dernier "spectacle" en date de Pedro Sanchez, exposé à la "honte internationale". Cette affaire braque la lumière sur la dernière plainte en date de Manos Limpias et sur sa récupération politique.

Loading...

La plainte de Manos Limpias

La dernière plainte en date de Manos Limpias vise l’épouse de Pedro Sanchez. Begoña Gomez est accusée d’avoir influencé une aide d’État en faveur de la compagnie aérienne Air Europa au moment de la pandémie de Covid. L’information a été révélée par le média en ligne El Confidencial et relayée par ESdiario.

En 2020 en effet, Air Europa a reçu 475 millions d’euros issus d’un fonds de 10 milliards destiné à soutenir les entreprises stratégiques en difficulté à cause de la crise sanitaire. La compagnie espagnole a été la première entreprise à bénéficier de ce fonds. Des dizaines d’autres ont suivi, dont plusieurs de ses concurrents comme Iberia ou Vueling.

À la suite de la plainte de Manos Limpias, une enquête judiciaire a été ouverte à l’encontre de Begoña Gomez pour trafic d’influence et corruption. Interrogé sur la chaîne espagnole Ser, le journaliste espagnol de Investigate Europe, Manuel Rico, par ailleurs avocat, demande que tout le monde puisse lire ce qu’il qualifie de "plainte honteuse".

"N’importe quel avocat qui a un minimum de dignité n’oserait pas signer ce document parce que c’est honteux. Si l’étudiant de première année en droit pénal le plus stupide présente cela pour un emploi, ils lui donneront un zéro. Un zéro. C’est totalement inadmissible. Vous voyez ça et ça part à la poubelle. C’est complètement incompréhensible", assure le journaliste.

"Je crois fermement qu’en Espagne, mais pas seulement en Espagne, nous assistons depuis des années à un coup d’État à la douce. Et ce coup d’État est mené par certaines toges, ajoute Manuel Rico. Cela peut paraître dur, mais si l’on met les faits en lumière, derrière un autre, je pense que c’est la seule conclusion à laquelle on puisse parvenir". Le journaliste utilise même l’expression de "chasse judiciaire".

Loading...

Moins de 24 heures après la publication de la lettre aux citoyens de Pedro Sanchez, la justice est également en effervescence : le parquet a en effet considéré qu’il n’y avait aucune preuve de délit et a décidé de faire appel de la procédure permettant l’ouverture d’une enquête à l’encontre de Begoña Gomez. Le ministère public demande purement et simplement le classement du dossier.

Quant au leader de Manos Limpias, Miguel Bernad, il a admis ce jeudi que la plainte déposée le 8 avril dernier contre Begoña Gomez pouvait être basée sur de fausses informations publiées par les journaux numériques (El Confidencial et ESdiario). Dans un communiqué, il explique qu’il revient au juge d’instruction de vérifier si les informations publiées sont vraies. Si elles sont fausses, ajoute Miguel Bernad, "Ceux qui les ont publiés seront ceux qui devront assumer le mensonge".

Vous avez dit Manos Limpias ?

Ainsi, la plainte de Manos Limpias – qui a provoqué un séisme d’une magnitude 7 sur l’échelle politique ibérique – est, de l’avis de son auteur, peut-être construite sur du sable. De quoi s’interroger sur la personnalité et les motivations de Miguel Bernad.

Depuis sa création en 1995, le Collectif des Agents Publics Mains Propres se présente comme un syndicat. Comme le précisait un article d’ABC daté de 2016 toutefois, il ne présente pas de comptes et n’organise pas les assemblées requises par ses statuts. En revanche, Manos Limpias enchaîne les dépôts de plaintes contre des responsables politiques, surtout de gauche, mais pas exclusivement.

Sur son site internet, le "syndicat" ne s’en cache d’ailleurs pas, expliquant "déposer toutes sortes de plaintes contre la corruption politique ou économique qui porte atteinte au public ou à l’intérêt général". La plupart de ces plaintes ne se sont d’ailleurs pas terminées pas des victoires mais par des revers judiciaires, comme lorsque Miguel Bernad est condamné à quatre ans de prison en 2021 pour avoir participé à un réseau d’extorsion, avant d’être finalement acquitté en appel pour manque de preuves.

En se promenant sur le site de Manos Limpias, il est par ailleurs difficile d’imaginer qu’il s’agit d’un collectif tant son secrétaire général Miguel Bernad est omniprésent, les multiples photos le montrant n’étant que la partie visible de l’iceberg.

Né à Bilbao en 1942, Miguel Bernad était avocat à la mairie de Madrid. L’homme a fait ses premiers pas en politique sur les listes de Frente Nacional pour les élections européennes en 1987 et 1989. C’est après l’échec de la petite formation d’extrême droite qu’il a fondé Manos Limpias. Il a également été fait Chevalier d’honneur de la Fondation nationale Francisco Franco, créée en 1976 avec l’objectif de "diffuser et de promouvoir l’étude et la connaissance de la vie, de la pensée, de l’héritage et de l’œuvre" du dictateur, comme le précise son site internet.

Récupération politique

Quelle que soit l’issue judiciaire apportée à la plainte de Manos Limpias contre Begoña Gomez, le séisme politique a bien eu lieu en Espagne. Le pays est désormais suspendu à la décision de Pedro Sanchez. Il la fera connaître lundi.

D’ici là, toutes les hypothèses circulent : "Il y en a qui disent que c’est vraiment un homme un peu au bout de ce qu’on peut supporter comme attaque. D’autres avancent que c’est plutôt une stratégie politique pour essayer de mettre fin à ce genre de campagne et pour changer un peu la thématique, c’est-à-dire que maintenant ce dont on parle, c’est avant tout s’il restera Premier ministre", analyse la spécialiste du discours politique de l’UCLouvain Barbara De Cock. Une manière en quelque sorte de détourner les projecteurs de son épouse et de les braquer sur lui.

Quoi qu’il en soit, les partis politiques dans l’opposition n’ont pas manqué de réclamer la lumière sur les accusations portées contre Begoña Gomez et, depuis un peu plus de 24 heures, de demander des comptes à Pedro Sanchez sur sa possible démission. Les critiques ont fusé sur les réseaux sociaux, qu’elles émanent de la formation d’extrême droite Vox ou des conservateurs du Parti Populaire.

Le PP n’a toujours pas digéré de ne pas avoir su traduire sa victoire dans les urnes en formant un exécutif alors que Pedro Sanchez a mis sur pied un gouvernement de coalition avec le mouvement Sumar. La virulence des déclarations doit être lue à la lumière du contexte politique espagnol alors que le PSOE est "en relative bonne forme" selon le professeur en sciences politiques de l’Université de Namur Arthur Borriello. Les dernières élections régionales en Galice ou au Pays basque lui ont été favorables par exemple.

"Ce n’est pas un parti socialiste en mauvaise santé et en mauvaise posture qui est attaqué. Et ça explique aussi peut-être la virulence des attaques de l’autre côté où tous les moyens sont bons pour essayer de discréditer un gouvernement qui sans cela paraît solide et capable d’aller au bout de sa législature. Il y a probablement quelque chose de ça, parce que c’est vrai que le leadership de Pedro Sanchez a complètement changé la donne au PSOE", poursuit le politologue.

Et d’ajouter que "Sanchez a traversé plusieurs crises avec brio, s’en sortant à chaque fois, y compris dans les crises liées aux revendications indépendantistes catalanes. Il y a sans doute là quelque chose – en tout cas du point de vue de l’extrême droite – qu’il faut couper la tête de l’Hydre. C’est certainement, oui, une lecture possible".

Pedro Sanchez a surpris tout le monde, jusqu’à son propre parti, le PSOE. Le chef du gouvernement espagnol va-t-il démissionner ? Le "come-back kid" lèvera le doute lundi.

A voir aussi : duplex depuis l'Espagne dans notre 19H30 de ce jeudi 25 avril

Pedro Sanchez va-t-il démissionner ? : une enquête vise son épouse

Pour voir ce contenu, connectez-vous gratuitement

Inscrivez-vous aux newsletters de la RTBF

Info, sport, émissions, cinéma... Découvrez l'offre complète des newsletters de nos thématiques et restez informés de nos contenus

Sur le même sujet

Articles recommandés pour vous