Belgique

Congo, Rwanda, Burundi : restituer les restes humains des anciennes colonies belges, une question de dignité humaine

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InfoPar Régis De Rath

C’est une bien curieuse proposition de loi qui va être prise en considération à la Chambre cette semaine. Elle vise à encadrer la restitution… de restes humains.

Et pas n’importe quels restes humains puisque ce sont ceux que renferment les collections de nos établissements scientifiques fédéraux. On parle ici de l’Institut royal des Sciences naturelles de Belgique, du Musée de l’Afrique à Tervuren et des Musées royaux d’Art et d’Histoire. Trois établissements qui renferment près de 8000 restes humains. Beaucoup sont des squelettes complets. Il y a aussi énormément de crânes.

L’époque où le Musée royal d’Afrique centrale se livrait à l’anthropologie raciale

Dans cette quantité impressionnante de restes humains, il y a des squelettes très, très anciens, voire préhistoriques mais ceux qui nous intéressent principalement, sont ceux qui ont été collectés et conservés pendant la période coloniale. Ceux-là, la Belgique pourrait choisir de les restituer. On peut même dire de les "rapatrier" – vu qu’il s’agit de dépouilles humaines – dans leur pays d’origine. À savoir : le Congo, le Rwanda et le Burundi. Si ces pays en tout cas en font la demande. C’est tout l’esprit de cette proposition de loi.

Ces restes humains, collectés pendant la période coloniale, ont été pendant longtemps conservés au Musée royal d’Afrique centrale à Tervuren. A l’époque, on étudiait une prétendue "anthropologie raciale". On analysait ces restes humains, sous le prisme racialisé du colonisateur. Mais depuis les années 60, ils sont conservés, pour leur immense majorité, à l’Institut royal des Sciences naturelles de Belgique, dans des collections non accessibles au public.

 

Le crâne du chef Lusinga

Dans les collections anthropologiques, certaines pièces sont plus symboliques que d’autres, notamment le crâne du chef Lusinga. Ce chef africain congolais a été décapité par le Lieutenant-Général Storms, l’un des Belges chargés par Léopold II de coloniser le Congo, dans les années 1880. Le crâne du chef Lusinga avait été ramené comme un trophée de la propagande coloniale par Emile Storms.

Aujourd’hui ce crâne est conservé à l’abri des regards.

"Ce qu’il s’est passé, c’est que Storms a ramené le crâne du Chef Lusinga chez lui. Il le présentait comme un trophée", explique Patrick Semal, le conservateur de ces collections à l’Institut des Sciences naturelles. "À la mort du Lieutenant-général Storms, sa veuve a livré différents restes anthropologiques au Musée de l’Afrique centrale. Aujourd’hui, ils ont été légués à l’Institut royal des Sciences naturelles de Belgique. C’est ce type de restes humains, de 'dépouilles des ancêtres', comme disent les Congolais, qui pourront être concernés par une demande de restitution, de rapatriement dans leur pays d’origine ".

Un accord entre Etats

Aujourd’hui, le narratif par rapport au passé colonial a complètement changé. Tout le discours tend vers la décolonisation. Et la symbolique de ces rapatriements est très importante.

La Belgique a déjà rapatrié une relique en République démocratique du Congo. On s’en rappelle : il s’agissait d’une dent. Celle de l’ancien Premier ministre du Congo Patrice Lumumba. Une dent arrachée à Lumumba après son assassinat sordide.

Le rapatriement du crâne du chef Lusinga pourrait également avoir une portée symbolique très forte. "Le crâne du chef Lusinga est la partie émergée de l’iceberg par rapport aux centaines d’autres dépouilles des anciens qui sont conservées en Belgique", précise Patrick Semal, le responsable des collections anthropologiques de l’Institut royal des sciences naturelles de Belgique. "Il y a eu une demande de restitution de la part d’un des descendants de Lusinga et de la part de la communauté à laquelle appartenait le chef Lusinga. Mais il n’y a pas encore eu de demande officielle de rapatriement du gouvernement de la République démocratique du Congo à la Belgique".

Si un cadre légal se met en place, des demandes officielles, bilatérales, entre Etats pourraient donc facilement intervenir.

Une question de dignité humaine

Il est important de légiférer. D’abord, parce que ces restes humains font partie des collections de l’état. Et pour les en sortir, il faut une loi de désaffectation du patrimoine. Ensuite, parce que la loi sur la restitution du patrimoine culturel, sur la restitution des biens spoliés pendant la période coloniale, votée en juillet 2022, a précisément exclu de son champ d’action les restes humains.

Pour la simple raison que les restes humains ne sont pas des vestiges comme les autres bien culturels. On parle potentiellement de centaines d’individus. "C’est une question de dignité humaine", explique Jean-Marc Delizée, le député socialiste qui porte la proposition de loi devant la Chambre des représentants. "Chaque crâne, était une personne. Une personne qui a eu une vie, qui a eu une mort et dont il faut respecter la dignité. Le Royaume-Uni et la France ont des législations en la matière. Il y a une sensibilité mondiale qui se manifeste, car de quel droit les anciens pays colonisateurs conservent-ils des restes humains ? Il faut les restituer, s’il y a une demande des pays d’origine, pour pouvoir organiser des funérailles, même longtemps après".

Pas les collections privées

A noter – et c’est peut-être la faiblesse de cette proposition à ce stade – le texte ne s’appliquerait qu’aux restes humains conservés dans les collections des musées fédéraux. Cela ne concerne donc pas les collections privées. Et on sait qu’il est déjà arrivé de voir des crânes mis en vente par des galeristes privés à Bruxelles, notamment ; ce qui avait provoqué un vif débat éthique sur le marché de l’art, il y a quelques années.

Une autre piste pourrait être d’ailleurs de légiférer pour que la propriété et le commerce de restes humains soient tout simplement interdits.

Cette proposition de loi déposée en toute fin de législature devrait revenir sur les bancs de la chambre après les élections. Ce sont de nouvelles pages de l’histoire de la décolonisation qui sont en train de s’écrire.

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