Belgique

#Investigation : le palais de justice de Bruxelles condamné aux travaux forcés à perpétuité ?

Le Palais de justice emprisonné dans un sarcophage d’acier

© RTBF

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Par Emmanuel Allaer

Le Palais de Justice est l'un des bâtiments emblématiques de Bruxelles. Mais voilà des dizaines d’années que l’on ne peut plus admirer pleinement sa monumentale architecture. Des échafaudages, autour de sa coupole et de sa façade principale, le défigurent encore et toujours. Ceux qui se souviennent de lui sans ce fatras de planches et de ferrailles sont de plus en plus rares.  L’état belge affirme avoir débloqué des budgets pour enfin le rénover. Alors, aperçoit-on aujourd’hui la fin des travaux forcés à perpétuité auxquels semblait, jusque-là, condamné le Palais ? S’agit-il seulement du début la fin ou de la fin du début ? La réponse est nuancée.

Si le grand architecte Joseph Poelaert revenait parmi nous, il faudrait à coup sûr redouter sa rage et son courroux face au martyr que la Belgique fait subir à son chef d’œuvre. Un bien douloureux et long supplice. Car voici bientôt quatre décennies que le Palais de Justice est emprisonné dans un sarcophage d’acier.  Il s’agit d’un double échafaudage géant. Le premier tout autour du tambour de la coupole centrale et le second devant la façade principale. Le comble dans cette histoire est que la forêt de tubes métalliques n’a pas servi à grand-chose puisque les travaux de restauration n’ont jamais vraiment débuté. Pourtant l’Etat belge a continué à louer ces échafaudages au prix fort, pour finalement… les racheter. Entre location et acquisition, le tout a coûté la bagatelle d’un million et demi d’euros.

La faute à qui ? 

La préservation et la restauration du Palais Poelaert, c’est le devoir de son propriétaire. Il s’agit de l’état belge et de son bras armé, la Régie des Bâtiments. Cet organisme public est en charge de tous les biens immobiliers de l’Etat. Cela va des prisons jusqu’au Palais royal en passant par le Cinquantenaire. Cela concerne plus de 900 complexes immobiliers. Soit près de 7 millions de m2 à gérer. Une mission dans laquelle de hauts fonctionnaires de la Régie ont franchi la ligne rouge. Une vingtaine ont ainsi été condamnés à de la prison ferme pour des faits de corruption. Ce scandale qui remonte aux années '80 et '90 concerne aussi le marché des… fameux échafaudages du Palais de Justice.

Cette sombre page qui éclabousse la Régie appartient à une autre époque. En 2008, la maison a été reprise par Laurent Vrijdaghs. Et cet ingénieur civil, pur produit de l’Ulb, a eu fort à faire pour remettre de l’ordre dans la demeure. Et pendant ce temps, le chantier du Palais Poelaert n’a guère avancé. En fait, depuis l’avènement de l’ère Vrijdaghs, la priorité a été mise sur la sécurité du bâtiment et des personnes qui y travaillent et qui le fréquentent.  Et il y avait de quoi redouter le pire en cas d’incendie. Aucun système de détection digne de ce nom, pas de plan d’évacuation, absence de coordination avec les pompiers, alimentation totalement insuffisante.

Le plafond de l’entrée monumentale, côté Marolles, effondré à cause des infiltrations
Le plafond de l’entrée monumentale, côté Marolles, effondré à cause des infiltrations © RTBF

C'est pas moi, c'est lui !

Si le Palais semble aujourd’hui dans un état de semi-abandon, il ne s’agit que d’une impression de façade. Car des travaux parfois lourds y sont malgré tout effectués. Il y a quelques années, pour mettre fin aux innombrables infiltrations d’eau, toutes les toitures ont été refaites. Une dépense de près de cinq millions d’euros. Problème, l’eau pénètre toujours par fortes pluies. Et pourquoi donc ? Parce que les gouttières débordent ! Et oui, elles débordent parce qu’elles ne sont pas nettoyées ! Mais qui doit nettoyer les gouttières ? C’est le locataire ! Le locataire, c’est le SPF Justice.  Une firme est bien chargée de nettoyer les gouttières, mais le boulot visiblement n’est pas fait. Tout cela appartiendra prochainement au passé, nous assure-t-on. Car une nouvelle firme spécialisée sera désignée après le lancement d’un appel d’offre.

Dorénavant, le suivi opérationnel quotidien des travaux revient à une nouvelle structure complètement dédiée au Palais. Il s’agit du Team Poelaert. Cette équipe de cinq personnes, architectes et ingénieurs, est désignée conjointement par le SPF Justice et la Régie des Bâtiments. Ce Team Poelaert reprend en fait les fonctions exercées par le conservateur du Palais. Une fonction restée vacante depuis le départ à la pension du dernier conservateur. C’était en 2009.

Objectif bicentenaire

Vous qui êtes passés devant le Palais ces semaines-ci,  vous l’aurez sans doute constaté, sa principale façade est en train de muer. Mais on est encore loin de la restauration de l’extérieur du bâtiment. Il ne s’agit pour l’instant que de la remise en état des vieux échafaudages et du remplacement de leur plancher. Cela permettra l’examen attentif des multiples éléments de maçonnerie. La restauration proprement dite suivra. Son achèvement est prévu pour 2023-2024. C’est en tout cas la promesse de la Régie des Bâtiments et de Mathieux Michel, le secrétaire d’Etat qui en a la tutelle. Pour ce qui concerne les autres façades, l’objectif est d’aboutir à l’horizon 2030. Ce qui serait évidemment un fort beau cadeau à l’occasion du bicentenaire de l’Indépendance du Royaume.

En 2040, si tout va bien 

Reste encore un très gros morceau, la restauration de l’intérieur du vénérable édifice. Là on n'est encore sûr de rien. Laurent Vrijdaghs, le patron de la Régie, estime le budget nécessaire entre 100 et 200 millions d’euros, à la très grosse louche. Il faut savoir qu’il y a, officiellement, 8000 m2 non utilisés dans le Palais Poelaert. Il s’agit de salles d’audiences et de bureaux désaffectés pour lesquels une rénovation complète est nécessaire. Mais tout dépend des besoins précis que SPF Justice et les magistrats concernés feront connaître. En fait, c’est tout l’intérieur de l’édifice qu’il faut remettre à niveau. Et là on parle dans le meilleur des cas, d’une fin de chantier en 2040. Entretemps, des travaux de réparation se poursuivent de-ci, de-là. Le défi consiste à réparer ce vénérable bâtiment plus vite qu’il ne se dégrade, avant que les délais raisonnables ne soient irrémédiablement dépassés. 

Le Palais de Justice de Bruxelles sera-t-il un jour débarrassé de ses échafaudages?

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