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" Vivons cachés " : les algorithmes finiront-ils par gouverner l’humanité ?

Vivons cachés

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Par I.Lo avec Régis De Rath

L’humanité produit en permanence des milliards de données numériques. Aujourd’hui, ces datas valent de l’or. D’ailleurs, les fameux GAFAM, acronyme de Google, Apple, Facebook, Amazon et Microsoft, détiennent 80% des informations personnelles numériques de l’humanité. Ils les agrègent, les croisent et nous profilent à souhait. Pour optimaliser ce profilage pointu, les géants du web ont mis au point de redoutables algorithmes qui parfois, vont nous enfermer dans des régularités, des systématismes, des bulles dont il est de plus en plus compliqué de s’extraire. Mais alors, en tentant de guider notre consommation, à quel point ces algorithmes finissent-ils par nous imposer nos " choix " ? Sont-ils finalement des acteurs politiques ?

 

" Les algorithmes incitent à être encore plus réguliers que vous n’auriez envie de l’être "

 

L’être humain est extrêmement prévisible ; il adore les mêmes restos, les mêmes acteurs, les mêmes auteurs et autres styles musicaux ou vidéos. Désormais toutes ces régularités sont scrutées, collectées, analysées et moulinées par les algorithmes des géants du net, pour faire du profit.

 

Comment fonctionne le " business model " des Big Datas ?

 

"Les GAFAM utilisent ces régularités pour que vous soyez encore plus réguliers que vous n’auriez envie de l’être ", explique Hugues Bersini, directeur du laboratoire d’intelligence artificielle à l’ULB. " Par exemple, ils mettent en place un algorithme qui vous incite à aller voir tel ou tel film que l’on devrait adorer. On n’aura pas vraiment le choix puisque c’est le premier lien qui sera affiché. Les GAFAM doivent leur fortune au fait que vous cliquez vraiment sur le lien qu’ils vous proposent ".

Ils y arrivent plutôt bien selon les cas : "A titre personnel, je suis assez d’accord avec les propositions d’Amazon, par contre avec Youtube c’est plutôt discutable : il suffit d’aller voir une vidéo un peu perturbante pour que ce type de vidéo arrive en premier choix. On enferme les gens dans des bulles informationnelles et ils n’ont plus la possibilité d’ouvrir leurs horizons ", ajoute Hugues Bersini.

 

C’est comme si nos désirs nous précédaient

 

Les algorithmes finiraient par déterminer les individus à leur insu. "On émet tellement de traces qui sont facilement corrélables avec des modélisations établies à l’échelle de populations entières, qu’on n’a plus besoin d’exprimer nos désirs. C’est comme s’ils nous précédaient ", analyse Antoinette Rouvroy, chercheuse en droit à l’université de Namur. Le slogan des dirigeants de Google notamment, ne laisse aucun doute sur les stratégies poursuivies. "L'ancien CEO de Google, Eric Schmidt disait qu’il sera bientôt impossible pour un individu, de vouloir quelque chose qui n'aura pas déjà été entrevu pour lui".

 

Quel danger pour nos idées politiques et notre modèle démocratique ?

 

Constater qu’un algorithme anticipe nos désirs de consommation, est déjà interpellant, mais cela devient préoccupant quand il s’agit d’idées politiques ou sensibles. " Les algorithmes ne sont jamais neutres ", nous dit Hugues Bersini dont le métier est de les coder et les programmer. "Ils ont une fonction sociale et ils peuvent être responsables d’inégalités ou de discriminations, par exemple. Ceux qui les codent savent bien ce que ces algorithmes vont provoquer ".

Y a-t-il danger lorsque les algorithmes manipulent des messages politiques ? "C'est évident ! Quand ils vous incitent à voter Trump, Marine Le Pen ou pour l’extrême droite par exemple, parce qu’on ne voit plus que des infos dans ce sens, ou encore quand ils vous incitent à ne pas vous faire vacciner, parce que vous ne voyez que des infos sur les effets négatifs qui sont pourtant rares, oui, cela devient dangereux pour la société ".

Les algorithmes des géants du web sont donc en mesure de s’opposer au modèle démocratique. "Ils sont essentiellement dangereux dans la mesure où ils court-circuitent 'l’espace public' ", argumente Antoinette Rouvroy, "Quand on confronte nos opinions celles d’autrui, dans un espace commun, on change d’idée et on construit éventuellement une opinion commune. C’est cette dimension-là qui est court-circuitée ". Donc les gros acteurs gouvernent le monde en fonction de leurs intérêts sectoriels. Les logiques de Google, de Facebook ou de Twitter ne sont plus discutables. Voilà qui confine à " l’ingouvernance ".

 

" L’ingouvernance ", une nouvelle gouvernementalité des algorithmes

 

La sociologue américaine Zeynep Tufekci, spécialiste des nouvelles technologies de la communication, n’hésite plus à évoquer la dérive totalitaire des algorithmes des GAFAM. "Si des autorités utilisent ces algorithmes pour patiemment nous observer, nous juger, elles peuvent manipuler chacun de nous, en utilisant nos faiblesses et nos vulnérabilités au travers de nos écrans privés. Alors cet " autoritarisme " nous capturera dans une gigantesque toile d’araignée sans même que nous en ayons conscience ".

 

Les GAFAM savent-ils tout de nous ?

 

Oui " nous dit Hugues Bersini, qui insiste sur ce fameux slogan : " Google sait mieux que vous à quel moment vous allez mourir ". " Donc Google le dit : vos mails, surtout sur Gmail, sont scrutés à la loupe et vous ciblent en fonction de ce qu’ils contiennent.  […] L’utilisation d’un moteur de recherche est extrêmement révélatrice. Si par exemple vous avez consulté un site porno, un site d’armement, ou si vous avez visionné certaines vidéos de Youtube avec des relents de terrorisme, ils le savent. Ils savent tout de vous".

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