Ecologie

Climat, biodiversité, pollution chimique… Nous avons désormais franchi cinq limites planétaires

© Getty Images

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Par Adeline Louvigny

Jusqu’où notre planète peut-elle encaisser les activités anthropiques ? A quel point nos mers, nos océans, nos terres, notre atmosphère, peuvent-ils absorber ce que rejette l’humain, fournir ce dont il a besoin pour vivre ? Au-delà des concepts popularisés d’empreinte écologique et carbone, y a-t-il, au final, d’autres limites que la planète, en tant que système biophysique global, ne peut pas dépasser ? Spoiler alert : oui. Et respoiler alert : on a déjà dépassé une bonne partie d’entre elles, selon des chercheurs du Stockholm Resilience Centre.

 

Une stabilité environnementale exceptionnelle où la civilisation humaine a éclos

En 2009, le directeur de ce centre suédois tente, avec une équipe d’une petite trentaine de chercheurs renommés, de conceptualiser, de modéliser les limites des principaux systèmes biophysiques terrestres. Un vaste projet, l’idée étant de considérer ces systèmes dans leur globalité, c’est-à-dire à l’échelle planétaire, et de définir des états de base stables.

Car si la civilisation humaine a pu à ce point se développer ces derniers milliers d’années, c’est parce que l’on a vécu une période incroyablement stable ces dix derniers milliers d’années : l’Holocène. Autrement dit, l’environnement, le climat, réunissaient des conditions exceptionnellement stables comparées au passé de notre planète. Mais cet "état de grâce" est maintenant compromis par le développement de notre espèce, qui a fait entrer la Terre dans une nouvelle ère, celle de l’Anthropocène. Une ère où ce sont les actions et activités humaines qui influencent l’équilibre des grands systèmes climatiques, biologiques, physiques.

Un espace sûr de développement humain

De ce travail ressort la définition de neuf limites planétaires ("planetary boundaries"), et du concept d’espace sûr de développement pour l’Humanité ("safe operating space"), soit des conditions semblables à l’Holocène. Pour chaque grand système terrestre, les scientifiques ont déterminé quelles variables pourraient nous renseigner sur ce moment où l’on dépasse la limite planétaire. La plupart d’entre elles sont bien connues du grand public :

  • Le changement climatique, évalué notamment grâce à la concentration de CO2 dans l’atmosphère
  • La perte de biodiversité, mesurée via le taux d’extinction des espèces
  • Les cycles de l’azote et du phosphore
  • La concentration en ozone dans la stratosphère
  • L’acidification des océans
  • L’utilisation de l’eau douce
  • L’utilisation des terres, et leur modification vers des terres agricoles
  • La charge en aérosol dans l’atmosphère
  • La pollution chimique

Pour des systèmes aussi globaux et interconnectés, il est important de comprendre pourquoi on parle bien d’une limite à ne pas dépasser, et non d’une évolution graduelle des conséquences. En effet, ces systèmes ne réagissent pas de manière linéaire à des bouleversements : ils auront plutôt tendance à encaisser, à rester stable malgré un déséquilibre de plus en plus fort, jusqu’à arriver à un point de bascule. Au-delà d’une certaine limite, l’équilibre est rompu, et il est quasi impossible de revenir à l’état initial. C’est un point de non-retour.

Une majorité des limites dépassées

Depuis la modélisation initiale, il y a 13 ans, la compréhension de ces systèmes a fortement évolué, et la définition des limites planétaires également. En 2009, on estimait que trois limites avaient été dépassées : la biodiversité, le changement climatique, et le cycle de l’azote. En 2015, le Stockholm Resilience Centre ajoutait l’utilisation des terres. Enfin, début 2022, une nouvelle étude ajoutait la pollution chimique. Soit cinq limites planétaires, sur les neuf.

© Stockholm Resilience Center

Alors bien évidemment, tout cela est très théorique : les chercheurs ont dû faire le choix de se cantonner à neuf limites planétaires, donc de simplifier toutes les relations complexes qui existent entre les systèmes terrestres, marins, atmosphériques et les cycles biogéochimiques qu’ils abritent. Mais plus les connaissances évoluent sur ces questions, poussées par le développement d’outils d’observations et de mesures puissants, plus le discours scientifique se fait inquiétant, et urgent.

Une pollution chimique présente partout

Par exemple, la dernière étude, de 2022, s’intéresse tout particulièrement à la pollution chimique, en développant le concept d’entités nouvelles (novel entities). Elles sont définies comme "les produits chimiques et d’autres nouveaux types de matériaux ou d’organismes artificiels inconnus jusqu’alors dans le système terrestre, ainsi que les éléments naturels (par exemple, les métaux lourds) mobilisés par les activités anthropiques". Soit le dernier stade de l’influence humaine sur son environnement : il apporte de nouvelles "entités", qui entrent en interaction avec les systèmes biophysiques, et dont les effets sont encore inconnus. Plus préoccupant encore, les auteurs de l’étude concluent que le rythme de production de ces produits chimiques est trop élevé par rapport à la capacité de mesurer et d’évaluer leurs possibles conséquences sur les systèmes terrestres. En d’autres termes, l’humain est incapable d’estimer l’impact de la production de ces entités sur son milieu de vie.

La pollution au plastique est un exemple type du danger de la pollution des entités nouvelles : produit en masse, on peut considérer qu’il est désormais présent quasi partout sur la planète, du fond des océans jusque dans l’atmosphère, sous forme de microparticules. Et que l’on est encore incapable d’évaluer les potentielles conséquences de la présence de ce plastique à tous les niveaux des systèmes biogéochimiques.

Qu’en est-il des autres limites, pas encore dépassées ? Certaines ne peuvent en fait pas être évaluées, par manque de connaissance ou d’instruments de mesure valables. L’acidification des océans est proche du point de bascule, tandis que l’utilisation des ressources en eau douce et l’ozone stratosphérique restent dans le "safe operating space". Mais ces systèmes étant tous interconnectés entre eux, il ne serait pas improbable que le dépassement des uns, accélère celui des autres.

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