Europe

Pour Samuel Furfari, "cette crise est temporaire", "le gaz est hyperabondant", son prix va chuter

Temps de lecture
Par Miguel Allo sur base d'invité dans l'actu sur la Première

Les 27 pays de l’Union européenne ont paré au plus pressé pour cet hiver. Ce mardi, ils ont décidé de réduire de 15% la consommation de gaz. Et ça, tout de suite, dès la semaine prochaine, dès le 1er août.

La commissaire européenne en charge de l’Énergie, Kadri Simson précise à ce sujet que : "J’ai été très franche sur la nécessité que le plan soit crédible et nous avons réussi. Nos calculs initiaux indiquent que même avec toutes les exceptions prévues, nous atteindrons des réserves qui nous feront passer l’hiver en toute sécurité."

Sachant cela, est-ce que finalement la Russie est la seule à pouvoir nous livrer en gaz ? Et, est-ce qu’en réduisant sa consommation de 15%, l’Europe pourrait se passer du gaz russe ? Est-ce que les ressources à travers le monde sont suffisantes ?

Un problème essentiellement pour l’Allemagne

Samuele Furfari est professeur en géopolitique de l’énergie à l’Université libre de Bruxelles (ULB). Selon lui, le problème est essentiellement allemand. Il rappelle qu’en Espagne et en Grèce, par exemple, il n’y a pas tous ces problèmes. L’Espagne est approvisionnée largement par ses terminaux gaziers, par l’Algérie (même si pour l’instant il y a quelques difficultés). L’Espagne et le Portugal n’ont donc aucune difficulté. Idem pour les pays baltiques. La Pologne a fait tout le nécessaire pour avoir des contrats à long terme avec les États-Unis, avec le Qatar, avec la Norvège.

Le problème, c’est l’Allemagne et la Commission européenne a pris cette décision pour donner une aide à l’Allemagne, précise l’expert. Mais il ajoute aussi que cette solution ne fonctionnera pas car il manque des infrastructures :"Comment faire venir du gaz d’Espagne, qui en a en abondance, en Allemagne ? Donc c’est plutôt quelque chose de symbolique pour montrer la solidarité, c’est une obligation du traité de Lisbonne de vivre la solidarité. Mais ça ne va pas beaucoup aider l’Allemagne, d’autant plus que l’Allemagne dépend non seulement beaucoup du gaz russe, mais elle en a besoin pour son industrie."

L’Allemagne n’est pas sortie de l’auberge

Ajoutons que le gaz est surtout utilisé pour des usages thermiques et que seuls 6% du gaz allemand sert à produire de l’électricité. Le reste, est utilisé pour le chauffage. "L’hiver va être là, et les usines doivent tourner. Et surtout, l’industrie chimique a besoin de gaz. Donc l’Allemagne n’est pas sortie de l’auberge."

Pas assez d’infrastructures

La Russie n’est pas le seul pays à posséder du gaz. Dès lors pourquoi l’Allemagne ne pourrait pas aller s’alimenter ailleurs.

Le problème explique Samuele Furfari c’est le manque d’infrastructures et notamment des terminaux gaziers. Or, l’Allemagne, n’a pas de terminal gazier "parce qu’ils n’en ont pas voulu". Il y aurait deux raisons à cette situation : "D’abord en disant on n’a pas besoin de gaz parce que le futur, ce sont les (énergies, ndlr) renouvelables. Et deuxièmement, les écologistes n’en ont pas voulu, ils ont tout bloqué. Ils avaient fait des propositions bien entendu, mais les écologistes ont bloqué et donc il leur manque des infrastructures."

Le gaz, c’est l’énergie du siècle

Il n’y a donc pas un manque de gaz, selon cet expert qui précise : "Le gaz, c’est l’énergie du siècle. Il y en a beaucoup dans le monde, partout, mais il fallait investir dans des infrastructures. Et l’Allemagne ne l’a pas fait. Elle a investi uniquement dans le nord Stream pour se connecter à la Russie."

Terminal gazier : quèsaco ?

Rappelons qu’un terminal gazier est un port où arrivent des méthaniers, des bateaux dans lesquels on transporte du gaz sous forme liquide. Le gaz est refroidi à -164 degrés à l’endroit où il a été produit. Il est alors stocké sur un navire pour être transporté partout dans le monde.

De son côté la Belgique a fait le nécessaire et possède un terminal gazier à Zeebruges. La France en a construit un à Dunkerque, en Bretagne, dans le sud de la France. Quant à l’Espagne, elle en achète et il y en a même un à Tenerife. "Donc les autres pays se sont bien organisés. La Pologne en a construit un, la Lituanie en a construit un, il n’y a que l’Allemagne qui a refusé de construire des terminaux gaziers."

Le stockage

Le gaz arrive donc en Europe sous deux formes : à l’état gazeux, à travers des gazoducs ou via des navires avec du gaz liquide. Quant au stockage, le professeur en géopolitique de l’énergie à l’ULB rappelle que c’est une obligation de la Commission européenne. Il ajoute que le gaz est stocké en été, lorsqu’on en a moins besoin pour se chauffer notamment. "Sauf qu’en Allemagne, au lieu de le stocker, ils l’ont vendu à la Pologne. Ils ont apporté plus de gaz bon marché de Russie et au lieu de le stocker, ils l’ont vendu à la Pologne et en plus la gestion du gaz est toujours… Enfin non, maintenant c’est nationalisé… Était géré par Gazprom lui-même. Donc il achetait du gaz à Gazprom et Gazprom le stockait. Donc c’est vraiment incroyable ce que l’Allemagne a fait. C’est en dessous de toute stratégie."

La capacité de stocker du gaz en Europe est donc suffisante, excepté en Allemagne pour ce spécialiste. Il note néanmoins que dans certains pays il y a des difficultés "mais ce n’est pas catastrophique." "L’Italie est aussi un peu en difficulté parce que l’Italie dépendait beaucoup trop du gaz russe également. Mais les autres pays se sont bien organisés."

Les pays qui peuvent fournir du gaz

Quels autres pays que la Russie peuvent fournir actuellement du gaz naturel ? En premier lieu le Qatar, mais il y a aussi les Etats-Unis qui eux produisent du gaz de schiste. "On n’a pas voulu produire du gaz de schiste en Europe, mais on l’achète aux États-Unis", explique Samuele Furfari. Il ajoute : "Pas depuis la crise, depuis maintenant cinq ans on achète du gaz aux États-Unis, du gaz de schiste qui est transporté par bateau et qui arrive par méthaniers."

Le gaz de schiste qui est liquéfié au Texas ou en Louisiane et transporté ensuite en bateau pour être transporté un peu partout en Europe. "La première cargaison est arrivée au Portugal. Et puis ça arrive un peu partout, surtout en France, en Angleterre et en Pologne."

Il existe encore d’autres pays producteurs de gaz. "L’Iran est un géant du gaz, mais malheureusement il ne possède pas la technologie, et puis, avec les sanctions, il ne possède pas la technologie pour le produire en mer. Mais le jour où l’Iran pourra produire du gaz en mer, ce sera encore une aubaine pour le pays, évidemment."

Pour l’expert, la Russie reste néanmoins le pays principal fournisseur et possède 20% des réserves de gaz, ce qui en fait un acteur incontournable. "L’Europe doit diminuer ses importations de gaz de Russie, mais la Russie va les augmenter, bien entendu, et pas seulement à la Chine, le Japon, la Corée, puisque la Russie est en train de se préparer depuis quelques années à exporter sous forme liquide aussi." Notons aussi qu’Israël devient exportateur de gaz et qu’en Afrique, il y a le Nigéria et l’Angola.

Se tourner vers d’autres pays

Pour Samuele Furfari il est donc tout à fait envisageable de se tourner vers d’autres pays pour se fournir en gaz. En rappelant qu’il faut alors les infrastructures nécessaires. Pour lui, la crise actuelle est temporaire : "Le danger est ponctuel pendant deux ou trois ans, mais après le gaz est hyperabondant et comme toujours, moi je le dis toujours le gaz c’est très compétitif. Le prix du gaz va chuter parce qu’il y a beaucoup de vendeurs de gaz dans le monde. Jusqu’à présent, on ne savait même plus où vendre du gaz. Cette crise est temporaire."

Il ajoute qu’il n’y aura pas de problème pour la Belgique. "Le problème c’est pour l’industrie allemande, c’est surtout l’industrie allemande qui va payer les pots cassés. On ne peut pas empêcher les gens de se chauffer et donc les Allemands vont être prioritaires. C’est normal. Les services, les hôpitaux, les écoles, les habitants vont être prioritaires. Ceux qui vont souffrir, c’est l’industrie allemande. Mais avec des conséquences énormes parce que la grande industrie allemande va avoir des répercussions sur les petites et moyennes entreprises. Avec des répercussions en dehors de l’Europe, en dehors de l’Allemagne."

Inscrivez-vous aux newsletters de la RTBF

Info, sport, émissions, cinéma... Découvrez l'offre complète des newsletters de nos thématiques et restez informés de nos contenus

Sur le même sujet

Articles recommandés pour vous