Effectivement, cinq petites minutes plus tard, un premier jeune homme s’approche de moi, en titubant. Il veut dire un mot au micro. En fait, il crie dedans. Et m’explique ensuite que, s’il est venu dans cette rue, c’est (un peu) pour voir les filles, mais surtout pour acheter de la marijuana. Un autre homme nous rejoint deux minutes plus tard en vêtements troués et l’air débraillé. Il explique être lui-même consommateur de drogues et ne cache pas que le quartier est rempli de trafic de stupéfiants. "Mais les gens qui viennent vendre ici ne sont pas du quartier, ils viennent d’ailleurs", lance-t-il avant de s’éloigner en direction des vitrines. "Moi, j’aime bien les mamas", rigole-t-il.
Au commissariat de police situé à côté de la Gare du Nord, l’inspecteur principal Johan Debuf confirme le constat de l’homme au trousseau de clés. "Le problème, c’est que le bon client ne vient plus ici. Le bon client, c’est un travailleur ou un homme d’affaires en déplacement dans un hôtel du quartier. Il a de l’argent, va voir les filles et veut que tout se passe dans le calme et la discrétion, sans être repéré. Mais, ce bon client, il ne se sent plus à l’aise désormais. Il préfère s’organiser par internet et rencontrer une fille dans un appartement discret d’un autre coin de Bruxelles. Du coup, ici, au quartier Nord, il faut faire avec ce qui reste.
Ils ne se contentent parfois pas de "gérer" les filles. Mais ils organisent aussi des trafics
Des clients moins recommandables, parfois drogués, violents ou qui ne veulent pas payer. Le meurtre d’Eunice, une prostituée nigériane, en 2018 a été un traumatisme dans le quartier. Depuis, beaucoup de dames sont "encadrées par un service de protection". Les prostituées nigérianes par exemple se retrouvent souvent sous la coupe d’une ancienne prostituée, une "mama", à qui elles doivent rembourser les frais de leur venue en Europe. Ces "mamas" font désormais appel à ce qu’on appelle des fraternités. Il s’agit de groupes de jeunes hommes qu’on fait venir du Nigéria pour protéger les filles. Pour les dames d’Europe de l’est, près de la gare, elles sont parfois sous la coupe de leur compagnon, dont elles sont tombées amoureuses, et qui profite de leur vulnérabilité pour les prostituer et, au passage, prendre une (bonne) partie de leurs gains. Ces compagnons, comme les membres des fraternités, ne se contentent parfois pas de "gérer" les filles. Mais ils organisent aussi des trafics dans le quartier et profitent de leurs positions pour se faire un territoire. Cela provoque des rivalités, des bagarres et des règlements de comptes. La prostitution n’est pas le problème. Le problème, c’est que ce quartier vit 24 heures sur 24 et, du coup, attire de nombreuses activités louches qui peuvent s’y développer".