Belgique

Le nouveau Délégué général aux droits de l’enfant, Solayman Laqdim : "La priorité des priorités, c’est la lutte contre la précarité et la pauvreté"

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Par Miguel Allo & Thomas Gadisseux

Il vient d’être nommé et entrera en fonction le 1er février, le nouveau Délégué général aux droits de l’enfant (DGDE), Solayman Laqdim était l’invité de la matinale sur La Première.

À 43 ans, ce Bruxellois d’origine, criminologue de formation, a fait sa carrière dans la protection de la jeunesse à différents échelons. Il est en ce moment le directeur du service de la prévention pour l’arrondissement judiciaire de Liège/Huy/Verviers, mais il est aussi passé par le cabinet du ministre de l’Aide à la jeunesse, Rachid Madrane (PS).

Rappelons, que le poste auquel il a été désigné a suscité un blocage politique pendant plusieurs mois. Et pourtant Solayman Laqdim était largement arrivé en tête du classement établi par un collège d’experts il y a quelques mois, devant deux candidates ex æquo : une Écolo, Madeleine Guyot et Joëlle Milquet, Les Engagés. Finalement, la nomination du Délégué général aux droits de l’enfant est tombée la semaine dernière.

La priorité

Pour le nouveau Délégué général aux droits de l’enfant, "la priorité des priorités, c’est la lutte contre la précarité et la pauvreté, parce que c’est probablement la variable qui handicape le plus l’effectivité des droits de l’enfant en Belgique francophone."

Solayman Laqdim ajoute que "la pauvreté n’est pas une identité en soi, c’est une identité par défaut." Pour changer la donne, il faut agir sur les institutions et sur l’environnement social des enfants. "On parle beaucoup de la pauvreté infantile et j’insiste beaucoup là-dessus, c’est un concept qui est indissociable de la pauvreté des parents… parce qu’il n’y a pas d’enfants pauvres, il y a des enfants qui vivent dans des familles pauvres." Pour agir, selon le nouveau DGDE, il faut avoir une réflexion globale "sur l’ensemble des compétences qui dépassent largement les matières personnalisables de la Communauté française."

Celui qui a fait sa carrière dans la protection de la jeunesse pendant une vingtaine d’années analyse la question de la précarité. À ses débuts, dit-il, "on disait qu’il y avait un enfant sur cinq qui vivait sous le seuil de pauvreté, aujourd’hui c’est un enfant sur quatre. Je crains qu’en quittant le secteur, ce ne soit un enfant sur trois."

Pour le criminologue de formation, le contexte extérieur est instable et agressif. Il rappelle qu’il y a eu une crise sanitaire qui a amplifié une série de problématiques et creusé les inégalités sociales, avec une augmentation des faits de maltraitance, suite au confinement, des violences conjugales, avec tous les impacts psychologiques que cela peut avoir pour les enfants.

La crise énergétique ne fait qu’amplifier ce dernier constat, poursuit-il. Et il donne l’exemple d’un enfant qui souhaite participer à une activité sportive et dont les parents ne peuvent payer la cotisation. Autre exemple : "Une école qui organise un voyage scolaire et les enfants ne sont pas en mesure de payer le voyage. Et donc, très vite, on exclut et il n’y a pas d’accès à la culture et aux loisirs ou une activité."

Autre point d’attention

Autre point d’attention pour le nouveau DGDE, rendre son action plus visible : "C’est de développer davantage tout l’aspect numérique par rapport à l’information vis-à-vis des enfants parce qu’aujourd’hui, les enfants sont sur leur smartphone et les réseaux sociaux. Et donc, si on veut s’adresser à eux, on doit investir ces nouveaux modes de communication. Et ça, pour l’instant, ce n’est pas suffisamment fait."

Élargir les compétences

Une réflexion est en cours pour élargir le champ d’action du DGDE. Précisons que par décret, le champ d’action de l’institution, ses compétences se font officiellement en Fédération Wallonie-Bruxelles. Dans les faits, elle est en contact avec les différentes administrations régionales. Par souci de cohérence, l’objectif au niveau politique, est donc d’étendre et d’élargir ses compétences au niveau régional, en Wallonie et à Bruxelles. "Mais je pense qu’il faut aller un cran plus loin et aller vers les compétences fédérales, parce qu’il y a plein de questions qui se jouent à ce niveau : la question migratoire, socio-économique, etc."

Le DGDE doit-il, par exemple, intervenir dans des dossiers sur la sécurité. Après les émeutes à Bruxelles, le ministre de la Justice Vincent Van Quickenborne (Open Vld) souhaitait que les parents de jeunes émeutiers soient "davantage responsabilisés" et a suggéré que les allocations familiales puissent être réduites.

Pas de doute pour le DGDE, c’est exactement "l’exemple d’une fausse bonne idée." Sur le terrain, Solayman Laqdim a vu constamment trois variables, en précisant qu’il s’agit d’un ressenti : "J’ai vu des profils socio-économiques très abîmés, j’ai vu des profils scolaires complètement chaotiques et puis aussi des familles qui sont aussi très abîmées."

Pour lui, les solutions se trouvent dans des politiques sociales beaucoup plus ambitieuses. "C’est avoir une vraie politique de soutien et d’accompagnement à la parentalité. Et puis, avoir une vraie réflexion sur la scolarité. Je crois que si on agit sur ces variables, on aura de meilleurs résultats qu’en supprimant des allocations familiales."

Le rôle du Délégué général aux droits de l'enfant

plus globalement, quel est le rôle du Délégué général aux droits de l'enfant ? Dans un entretien antérieur, Solayman Laqdim, dévoile sa vision du poste qu'il occupera à partir du 1er février prochain. Communément appelé l’avocat des enfants, il s’attelle à rendre le plus effectif possible les droits de l’enfant en Belgique francophone. Pour ce faire, il peut s’appuyer sur le texte de référence et contraignant qu’est la Convention relative aux droits de l’enfant.

Le DGDE est là pour rappeler les obligations de la Belgique francophone (il a un homologue en Flandre) en la matière.

Sensibilisation, recommandations, médiation

Pour que les droits puissent être appliqués, il faut que les enfants les connaissent. C’est là l’une des premières missions du DGDE : promouvoir et mettre en place des campagnes de sensibilisation à destination de ce public et des personnes en lien avec eux.

Autre mission, le DGDE – par sa vigilance sur les différentes législations touchant de près ou de loin les enfants – doit faire des recommandations. Dans la même logique, il remet chaque année un rapport à destination du Parlement de la Communauté française, sur l’état des lieux des différentes problématiques qu’il aurait pu constater.

Enfin, l’institution peut aussi récolter les plaintes et les demandes de médiation des particuliers qui estiment que les droits de l’enfant n’ont pas été totalement respectés. Notons qu’il peut instruire la requête, mais il ne la traite pas directement, puisqu’il existe à cet effet des services de première ligne dont c’est la mission.

Écouter les enfants et changer les choses

Solayman Laqdim ajoute que le DGDE prend surtout en compte la parole des enfants. "Non seulement il en prend compte, mais il essaye d’en faire une parole agissante." 

On retrouve dès lors deux pendants dans son action. Il y a lieu, tout d’abord, de mettre en place une série de mécanismes de protection à l’égard des enfants, en raison de leur statut de vulnérabilité, car mineur. "Mais à côté de cela, il faut aussi qu’ils soient de véritables sujets de droits et qu’ils soient pleinement reconnus. Et donc, c’est trouver le juste équilibre entre les deux qui est important."

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