Le Mug

1985 : quelle est la part de la vérité judiciaire dans la série fictionnelle sur les tueries du Brabant ?

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Par Bénédicte Beauloye

Après la diffusion des deux premiers épisodes de la série 1985 ce 22 janvier, Le Mug a confronté l’auteur de la fiction au juge d’instruction en charge de l’affaire Bouhouche-Beijer pour un décryptage de l’adaptation. Le préambule est clair : ceci est une fiction inspirée de faits réels. L’auteur Willem Wallyn défend son approche face au juge d’instruction qui a mené le dossier, Luc Hennart. Récit fictionnel versus vérité judiciaire.

Le scénariste Willem Wallyn avait vingt ans au moment des tueries. Très marqué par ces événements, il a participé comme stagiaire en droit à la préparation des commissions parlementaires qui ont examiné les détails de l’enquête. Pour Luc Hennart, c’est le hasard du remplacement d’un collègue malade qui va le désigner comme juge d’instruction sur cette affaire qui l’occupera de 1985 à 1992. Il n’a pas été approché pour l’écriture du scénario.

Extrait de la série '1985', le personnage d’un jeune gendarme interprété par Tijmen Govaerts confronté au personnage de Madani Bouhouche interprété par Roda Fawaz,
Extrait de la série '1985', le personnage d’un jeune gendarme interprété par Tijmen Govaerts confronté au personnage de Madani Bouhouche interprété par Roda Fawaz, © THOMAS NOLF / EYEWORKS / VRT / RTBF

Une adaptation éloignée de la vérité ?

"Sans vouloir m’imposer, j’ai le regret que vous n’ayez pas pris contact avec moi, ce qui aurait permis d’apporter un certain nombre de nuances. Ce qui me dérange, c’est que sous le couvert de la fiction, on relie ces personnages de Robert Beijer et Madani Bouhouche aux tueries. Par rapport au dossier tel que je le connais, et j’ai instruit cette affaire, par rapport à la réalité, vous avez pris une liberté absolument inouïe ! Ça ne correspond en rien, ou très très peu à la réalité des faits" lâche Luc Hennart.

Le scénariste s’est préparé à ces critiques et a écrit son scénario avec prudence. Il justifie ses choix narratifs, puisque la trame se base sur des faits établis, ainsi que sur des éléments qui ont fait l’objet d’une enquête mais non démontrés : "Je ne place jamais Bouhouche et Beijer en tant qu’acteurs ou malfaiteurs des tueries du Brabant. Je les installe pour ce qu’ils ont avoué, ou pour les faits pour lesquels ils ont été condamnés. Il y a eu deux commissions parlementaires, je me suis basé sur ces rapports qui présentent un nombre de faits qui ont été abordés lors de l’enquête. Je les ai dès lors utilisés. C’était mon approche technique pour ne pas entrer dans des discussions de culpabilité. J’ai été avocat, ce n’est pas mon but d’accuser des gens pour des faits qu’ils n’ont pas commis ou pour lesquels ils n’ont pas été condamnés".

Le premier épisode se déroule en 1981. Cette année est marquée par l’attentat contre le Major gendarme haut gradé Vernaillen à son domicile. Après la prescription, Robert Beijer a avoué, dans son livre, l’avoir commis. Il n’a cependant pas été condamné pour cette attaque. Dans la fiction, le scénariste et le réalisateur ont installé l’ambiguïté en évitant de l’identifier comme assaillant derrière la porte du domicile du gendarme.

Le juge Hennart est catégorique. Pour lui, rien ne relie les deux criminels aux tueries du Brabant. Seul le recel d’armes volées au groupe d’intervention Diane est établi pour Madani BouhoucheIl reste fasciné sur toutes les hypothèses émises à l’époque et jusqu’à aujourd’hui.

"Les enquêteurs, policiers, juges d’instruction se sont livrés à des élucubrations incroyables. En pensant, en imaginant, en mettant tout en place pour faire de Robert Beijer et Madani Bouhouche les auteurs des tueries du Brabant. Je le dis et le répète haut et clair : quand en 1992 je quitte ce dossier puisque l’instruction est terminée, il n’y a pas un élément qui relie ces deux personnages pour problématiques qu’ils soient, aux affaires des tueries du Brabant".

Une description caricaturale de la gendarmerie ?

L’autre personnage omniprésent dans la série est la gendarmerie. Les deux jeunes recrues qui intègrent l’institution sont rapidement témoins de dysfonctionnements. Leurs idéaux et naïveté vont être secoués. Même s’il reconnaît la liberté du récit fictionnel, le juge Hennart regrette cette description 'caricaturale' de la gendarmerie qui serait le nid de l’extrême droite. Notamment en insistant sur le groupe G, regroupement de quelques gendarmes fascistes.

"J’ai travaillé avec la gendarmerie qui a fourni un travail de qualité incontestable. Le groupe G était un petit groupuscule, on en a fait un mammouth et c’était une souris ! Ici, et c’est la fiction et donc la responsabilité de l’auteur, on a le sentiment que toute cette institution était pourrie et était infestée par l’extrême droite. On a enquêté, et enquêté encore, à part le petit phénomène du groupe G, on n’a rien trouvé. Pour moi, il y a un pas trop loin par rapport à l’institution de la gendarmerie".

Ce n’est pas un documentaire sur la gendarmerie

La nuance entre la reconstitution, qui vise à faire revivre un événement passé au plus près de la réalité, et l’évocation qui replace un contexte historique doit être à l’esprit des téléspectateurs. La scénarisation d’une fiction passe par la création de personnages qui vont incarner les idées véhiculées. Willem Wallyn soigne son personnage principal symbole d’intégrité : "Ce n’est pas un documentaire sur la gendarmerie. Je ne fais pas de généralités, je montre quelques cas qui ont causé des problèmes tellement importants qu’aujourd’hui on en parle encore. La réalité juridique, c’est qu’il n’a pas été possible de démontrer les faits. Le personnage principal est un gendarme intègre. J’ai inventé ce personnage pour mener l’enquête".

► Retrouvez la série '1985' tous les dimanches soir sur La Une en VO et en VF et sur Auvio.

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